Cours d’agriculture (Rozier)/ÉPOUVANTAIL

Hôtel Serpente (Tome quatrièmep. 305-306).


ÉPOUVANTAIL. Haillon, figure grotesque qu’on met au bout d’un bâton, dans les chenevières, dans les champs, dans les jardins, afin d’épouvanter les oiseaux, & les empêcher de dévorer le grain à mesure qu’il germe & sort de terre. Les moineaux & les pinçons font un grand dégât, sur-tout dans les chenevières ; lorsque les petites raves, les radis commencent à pousser, ils n’en laissent pas de vestige, à moins qu’on ne les chasse continuellement : pour juger de leurs ruses, écoutons parler M. l’abbé Poncelet.

« Après avoir essayé plusieurs moyens pour me débarrasser des oiseaux, je me déterminai à planter au milieu de mon champ un phantôme couvert d’un chapeau, les bras tendus, & armé d’un bâton : le premier jour les maraudeurs n’osèrent approcher, mais je les voyois postés dans le voisinage, gardant le plus profond silence, & paroissant méditer profondément sur le parti qu’il leur convenoit de prendre. Le second jour, un vieux mâle, vraisemblablement le plus audacieux & peut-être le chef de la bande, approcha du champ, examina le phantôme avec beaucoup d’attention ; voyant qu’il ne remuoit pas, il en approcha de plus près ; enfin, il fut assez hardi pour venir se poser sur son épaule ; dans le même instant il fit un cri aigu, qu’il répéta plusieurs fois avec précipitation, comme pour dire à ses camarades, approchez, nous n’avons rien à craindre. À ce signal, toute la bande accourut ; je pris mon fusil, j’approchai doucement ; la sentinelle toujours à son poste, toujours attentive, toujours l’œil alerte, m’apperçut ; aussitôt elle fit un autre cri, mais bien différent de celui qu’elle venoit de faire pour convoquer l’assemblée : à ce nouveau signal, toute la bande précédée de la sentinelle, & sans doute conductrice en même temps, s’envola ; je lâchai mon coup de fusil en l’air pour les intimider ; je réussis effectivement pour quelques jours ; mais vers le quatrième, je les vis reparaître à une certaine distance comme la première fois, & gardant toujours le plus profond silence. Il me vint alors à l’esprit une plaisante idée, que j’exécutai sur le champ : j’enlevai le phantôme ; je vêtis ses haillons, & je me postai à sa place dans la même attitude, les bras tendus, & armé d’un bâton ; il est probable que nos rusés maraudeurs ne s’apperçurent pas du changement. Après une demi-heure d’observation, j’entendis le signal ordinaire, & immédiatement après, je vis la bande entière s’abattre d’un plein vol au milieu du champ & presque à mes pieds : préparé comme je l’étois, il étoit presque impossible que je manquasse mon coup ; j’en assommai deux, & le zeste s’envola ».

« Le moyen dont je me suis servi, & qui les a écartés pour toujours, est simple. Il consiste à changer le phantôme de place & d’habillement deux fois par jour ; cette diversité de forme & de situation en impose aux maraudeurs ; défians comme ils sont, ils abandonnent enfin la partie ».