NRF – Gallimard (p. 85-112).

TROISIÈME DIALOGUE


— J’ai beaucoup réfléchi depuis hier, dis-je à Corydon, en entrant. Permettez-moi de vous demander si vous croyez bien fermement à cette théorie que vous m’exposiez ?

— Du moins suis-je bien convaincu de la réalité des faits qui la motivent. Quant à prétendre que l’explication que j’en offre soit la seule possible ou la meilleure, loin de moi cette présomption. Mais oserai-je ajouter qu’à mon avis cela n’a pas grande importance. Je veux dire que l’importance d’un nouveau système proposé, d’une nouvelle explication de certains phénomènes, ne se mesure point uniquement à son exactitude, mais bien aussi, mais bien surtout, à l’élan qu’elle fournit à l’esprit pour de nouvelles découvertes, de nouvelles constatations (dussent ces dernières infirmer la dite théorie) aux routes qu’elle ouvre, aux empêchements qu’elle lève, aux armes qu’elle fournit. Il importe qu’elle propose le neuf et qu’à la fois elle s’oppose au vieux. Il peut nous paraître aujourd’hui que, sur sa base même, toute la théorie de Darwin chancelle ; nierons-nous pour cela que le Darwinisme entraîna la science plus avant qu’il ne l’avait prise ? Dirons-nous que De Vries a raison contre Darwin ? Non, pas plus que Darwin, que Lamarck même, n’avaient raison contre X.

— Devant vous on n’osera même plus dire que Galilée…

— Permettez-moi de distinguer entre la remise au point des faits et l’explication qu’on en donne. Celle-ci, l’explication, demeure flottante ; mais loin de suivre toujours les constatations nouvelles, elle les précède souvent ; parfois, souvent même, nous voyons la théorie devancer l’observation, et celle-ci confirmer seulement ensuite la téméraire proposition du cerveau. Prenez pour hypothèses mes avances ; je me tiendrai satisfait si seulement vous leur reconnaissez quelque vertu d’initiative. Encore une fois les faits sont là, que vous ne pouvez pas nier. Quant à l’explication que j’en donne, je suis prêt à la renoncer, dès que vous m’en baillerez une meilleure.

I

Nous avons pu considérer hier, poursuivit-il, le rôle prépondérant de l’odorat, ce sens avertisseur de l’instinct, dans les conjugaisons animales. C’est grâce à lui que le flottant désir du mâle va délibérément se tourner vers la femelle — et uniquement vers la femelle en rut. On peut dire, sans trop exagérer, que la « sexualité » de l’instinct génésique (pour parler le jargon moderne), gît dans le sens olfactif du mâle. Il n’y a pas, à proprement parler, élection de la femelle par le mâle ; dès qu’elle entre en odeur, celui-ci est rué vers elle et mené par le bout du nez. Lester Ward, dans un passage que je ne vous ai point lu, insiste beaucoup sur ce fait que « toutes les femelles furent semblables pour l’animal mâle » et, en réalité, elles sont toutes semblables, avons-nous vu, le mâle étant seul capable de variation et d’individualisation. La femelle pour l’attirer n’a pas d’autres ressources que son parfum ; elle n’a pas besoin d’autre attrait ; elle n’a pas à être belle ; il suffit qu’elle soit de bonne odeur. Le choix — si tant est que le choix ne soit pas la simple victoire du plus apte — le choix reste le privilège de la femelle ; qu’elle choisisse selon son goût, et nous touchons à l’esthétique. C’est par conséquent, insiste Ward encore, la femelle qui dispose de la sélection, qui crée ce qu’il appelle « l’efflorescence du mâle ». Je ne chercherai pas pour le moment si cette suprématie de beauté que, grâce au bon goût de la femelle peut-être, conserve l’individu mâle chez la plupart des insectes, des oiseaux, des poissons et des mammifères, il convient de la retrouver dans l’espèce humaine.

— Depuis longtemps je vous attendais là.

— Provisoirement, et par impatience, remarquons tout d’abord ceci : le rossignol mâle n’est pas beaucoup plus coloré que sa femelle ; mais celle-ci ne chante pas. L’efflorescence du mâle n’est pas nécessairement vénusté ; elle est luxe ; et ce peut être dans le chant, dans quelque sport, ou dans l’intelligence enfin qu’elle apparaît.

Mais permettez que je respecte ici l’ordre de mon livre, où je n’aborde ce point important que plus tard.

— Suivez l’ordre qu’il vous plaira. J’accorde que vous différiez le plus possible les questions qui vous peuvent embarrasser, pourvu que vous y arriviez à la fin… Car, j’y suis désormais résolu : je ne vous tiendrai pas quitte, que vous n’ayez épuisé votre science et votre logique, fait feu de tous vos arguments. Mais dites à présent comment vous entrez dans la seconde partie de votre livre.

— Nous y voici : je commence par constater que l’odorat, d’importance si capitale dans les conjugaisons animales, ne joue dans les rapports sexuels de l’homme plus aucun rôle ; s’il intervient, c’est à titre surérogatoire.

— Est-il vraiment bien intéressant de remarquer cela ?

— Cette différence me paraît si remarquable que je doute si M. de Gourmont, en n’en faisant point mention dans son livre, en n’en tenant point compte dans son assimilation de l’homme aux animaux, ne l’aurait pas remarquée, ou l’aurait simplement omise — ou très commodément escamotée.

— Je ne l’ai pourtant jamais vu embarrassé par une objection. Peut-être précisément n’attachait-il pas à celle-ci l’importance que vous lui accordez.

— Et ce qui vous apparaîtra, je l’espère, dans les conséquences qu’elle entraîne et que je vais essayer de vous exposer.

La femme, disons-nous, n’a plus pour attirer l’homme l’odeur périodique des menstrues ; quelque autre attrait sans doute la remplace ; naturel ou postiche, cet attrait reste indépendant des époques, non soumis à l’ovulation. La femme désirée est désirable en tous temps. Disons plus : tandis que l’animal n’appète la femelle, et qui ne se laisse approcher par le mâle, que durant la période de ses chaleurs, au contraire, au moment des règles, l’homme, d’ordinaire s’abstient. Non seulement celles-ci ne comportent plus d’attirance, mais entraînent une sorte de prohibition ; peu me chaut, pour l’instant, qu’elle soit ou physique ou morale, qu’il y faille voir dégoût momentané de la chair, survivance d’antiques prescriptions religieuses, ou désapprobation de l’esprit — toujours est-il que, dès ici, l’homme se sépare, et nettement, de l’animal.

Désormais l’appétit sexuel, tout en restant impérieux, n’est plus attaché de si court ; les nerfs olfactifs jusqu’alors le tenaient en laisse ; il prend du champ. Cette première libération va bientôt en permettre d’autres. L’amour (et je répugne à employer déjà ce mot, mais il faut bien pourtant que j’y arrive), l’amour aussitôt tourne au jeu — un jeu qui va se jouer hors des règles.

— Ce qui ne veut point dire, j’espère, que chacun soit absolument libre de le jouer comme il lui plaît.

— Non, car le désir n’en sera pas moins impérieux ; mais du moins en sera-t-il plus divers ; l’impératif, pour être autant catégorique, deviendra plus particulier ; oui, particulier à chacun. De plus l’individu n’appètera plus indistinctement la femelle, mais telle femme particulièrement.

Les affections des animaux diffèrent des affections des hommes autant que leur nature diffère de l’humaine, dit Spinoza ; et plus loin, parlant plus spécialement de l’humanité : La volupté de l’un se sépare naturellement de la volupté de l’autre autant que la nature de l’un diffère de la nature de l’autreadeo gaudium unius a gaudio alterius tantum natura discrepat, quantum essentia unius ab essentia alterius differt.

— Après Montaigne et Pascal, Spinoza ; vous savez choisir vos parrains. Interprété par vous, ce « gaudium unius » ne me dit rien qui vaille ; « j’ai grand-peur », comme disait Pascal… Continuez.

Il sourit un instant, puis reprit :

II

— Attrait constant, d’une part ; d’autre part : sélection opérée non plus par la femelle en faveur du mâle, mais par l’homme en faveur de la femme… N’aurions-nous pas ici la clef, ou la justification pour mieux dire, de cette inexplicable précellence de la vénusté féminine… ?

— Qu’entendez-vous par là ?

— Que, du bas en haut de l’échelle animale, nous avons dû constater, dans tous les couples animaux, l’éclatante suprématie de la beauté masculine (dont j’ai tenté de vous offrir le motif) ; qu’il est assez déconcertant de voir le couple humain, tout à coup, renverser cette hiérarchie ; que les raisons que l’on a pu fournir de ce subit retournement demeurent ou mystiques ou impertinentes — au point que certains sceptiques se sont demandé si la beauté de la femme ne résidait pas principalement dans le désir de l’homme et si…

Je ne lui laissai pas achever. Je m’attendais si peu à lui voir apporter un argument à la thèse du sens commun, que d’abord je ne saisissais point sa pensée ; mais m’en emparant aussitôt, je ne voulus plus lui laisser le temps de s’en dédire et m’écriai :

— Vous nous tirez d’un mauvais pas, et je vous en remercie. Je comprends à présent que cet « attrait constant » de la femme commence où précisément finit l’autre ; et sans doute n’est-il pas de médiocre importance en effet que l’homme suspende sa concupiscence, non plus à l’odorat, mais au sens plus artiste, moins subjectif, de la vue ; voici qui sans doute va permettre une culture et le développement des arts…

Puis, me laissant aller à cette confiance que m’inspire irrésistiblement la première manifestation du bons sens :

— Il est assez piquant de devoir à un uraniste le premier argument sensé en faveur de la « prééminente vénusté du beau sexe » comme vous dites ; mais j’avoue que jusqu’à présent je n’en avais pu trouver d’autre, sinon dans mon propre sentiment. Je vais donc pouvoir relire à présent sans gêne certains passages du discours de M. Perrier à l’Académie, que vous me prêtâtes hier…

— À quels passages faites-vous allusion ?

Sortant de ma poche la brochure, je lus : À voir chatoyer aux rayons d’un soleil d’été, ou sous les girandoles d’une salle de bal, les caressantes couleurs des robes de fête (description)… on pourrait croire que la parure a été l’invention exclusive des filles d’Ève… Il me semble que pour les parer, l’argent, l’or (énumération), les diamants (énum.), les fleurs (énum.), les plumes (énum.), ailes de papillons… ; les hommes n’ont pas encore osé aborder la « création » de ces joyaux dans lesquels semble venir coqueter, avant de s’envoler, la pensée des femmes : leurs exquis, spirituels ou triomphants chapeaux…

— Excusez-le ; sans doute il en voyait dans l’assistance.

Par un très net contraste, alors que monte et se maintient, tout au moins dans nos pays civilisés, l’antique goût des femmes pour la parure, les hommes se détachent de plus en plus de toute recherche…

— Je vous l’ai dit : l’efflorescence du mâle n’est pas nécessairement vénusté.

— Attendez que j’aie fini de lire : … le sombre costume du Tiers paraît lui-même trop encombrant : on l’allège, on le raccourcit, on le réduit en simple veston, si bien que, dans les cérémonies auxquelles assistent les femmes, nous faisons figure d’humbles larves se glissant parmi les fleurs.

— Oui, ceci est assez galant.

Cette évolution est tout à fait caractéristique ; elle sépare l’espèce humaine des espèces animales supérieures, aussi bien qu’aucun de ses caractères physiques, qu’aucun autre de ses caractères psychiques. Elle est en effet exactement l’opposé de celle qui s’est manifestée dans une grande partie du règne animal. Là, le sexe favorisé par excellence est le sexe masculin ; il l’est de toute façon, et déjà chez des êtres peu élevés, pourvu qu’ils soient susceptibles d’une certaine activité.

— C’est là le passage qui vous gênait ? Puis-je vous demander pourquoi ?… car il me paraît, au contraire, de nature à devoir vous plaire…

— Ne faites donc pas l’innocent ! Comme s’il vous échappait que Perrier, sous couleur de louer le beau sexe, n’en loue que le revêtement[1].

— Oui ; ce que j’appelais tout à l’heure « l’attrait postiche ».

— Le mot me paraissait malhonnête ; mais je vois ce que vous vouliez dire. Et j’en venais à penser qu’il était peu adroit au savant de tant insister sur ce point ; car enfin, de dire à une femme : vous avez là un bien charmant chapeau, n’est pas aussi flatteur que de lui dire : vous êtes belle.

— Aussi lui dit-on de préférence : comme ce chapeau vous va bien ! Mais n’est-ce que cela qui vous gêne ? Je crois me souvenir que, vers la fin de son discours, Perrier, laissant de côté la parure, sait louer à son tour la personne qui la revêt ; passez-moi le discours… Tenez : Vous y aurez gagné, Mesdames, l’éclat de votre teint, la pureté cristalline de votre voix, la moelleuse élégance de vos gestes et ces gracieuses lignes qui ont inspiré le caressant pinceau de Bouguereau. Que voulez-vous de plus joli ? Pourquoi ne lisiez-vous pas ces lignes ?

— Parce que je sais que vous n’aimez pas Bouguereau.

— C’est trop d’égards !

— Cessez de persifler et donnez-moi votre pensée là-dessus.

— J’avoue qu’en effet tant d’artifice, appelé si constamment au secours de la nature, m’inquiète. Je me souviens du passage de Montaigne : Ce n’est pas tant pudeur, qu’art et prudence, qui rend nos dames si circonspectes à nous refuser l’entrée de leurs cabinets avant qu’elles soient peintes et parées pour la montre publique. Et j’en viens à douter si, dans la Tryphème rêvée par Pierre Louÿs, une coutumière et franche exhibition des avantages du beau sexe, l’habitude de se montrer tout nu par la campagne et par les rues, n’amènerait pas un résultat contraire à celui qu’il semble prédire ; si les désirs de l’homme pour l’autre sexe n’en seraient pas beaucoup refroidis. Reste à savoir, disait Mademoiselle Quinault, si tous les objets qui excitent en nous tant de belles et vilaines choses parce qu’on en dérobe la vue, ne nous auraient pas laissés froids et tranquilles par une contemplation perpétuelle ; car il y a des exemples de ces choses-là. — Enfin il est des peuplades et précisément des plus belles, où Tryphème est réalisée (l’était du moins il y a quelque cinquante ans, avant le travail des missionnaires), Tahiti, par exemple, lorsque Darwin y abordait, en 1835. Il décrit en quelques pages émues la splendeur des indigènes, puis : J’avoue que les femmes m’ont quelque peu déçu, ajoute-t-il ; elles sont loin d’être aussi belles que les hommes… Puis, après avoir constaté le besoin, chez elles, de compenser cette moindre beauté par la parure[2] : En résumé, il m’a semblé que les femmes, bien plus que les hommes, gagneraient beaucoup à porter quelque vêtement.

— Je ne savais point que Darwin était uraniste.

— Qui vous a dit cela ?

— Cette phrase ne le laisse-t-elle pas entendre ?

— Quoi ! me forcerez-vous de prendre au sérieux M. de Gourmont, lorsqu’il écrit : C’est la femme qui représente la beauté. Toute opinion divergente sera éternellement tenue pour un paradoxe ou pour le produit de la plus fâcheuse des aberrations sexuelles.

— « Éternellement » vous semble vif ?

— Mais tranquillisez-vous. Darwin n’est pas, que je sache, plus uraniste que maints autres explorateurs qui, circulant parmi des peuplades nues, se sont émerveillés de la beauté des jeunes hommes — plus uraniste que Stevenson par exemple qui, parlant des Polynésiens, reconnaît que la beauté des jeunes hommes surpasse de beaucoup celle des femmes. Et c’est précisément pourquoi leur opinion m’importe, et que je crois, avec eux, non point en puritain, mais en artiste, que la pudeur sied aux femmes et que le voile est ce qui leur convient — « quod decet ».

— Alors que signifie ce que vous me disiez tout à l’heure ? cet argument qui me paraissait pertinent, en faveur de la vénusté du beau sexe.

— J’allais examiner avec vous si l’on ne pouvait pas raisonner ainsi : Tandis que la femelle choisissait et pour ainsi dire disposait de la sélection, nous avons vu la sélection travailler donc en faveur du mâle ; réciproquement c’est sans doute en faveur de la femme qu’elle travaille, puisque à présent c’est l’homme qui choisit.

— D’où le triomphe de la vénusté féminine ; oui c’est bien là ce que j’avais compris.

— Avec tant de précipitation que je n’ai pu pousser plus loin mon idée. Je m’apprêtais alors à vous faire observer ceci : tandis que, parmi les animaux, l’efflorescence du mâle ne se peut transmettre qu’au mâle, les femmes cependant transmettent certainement la plupart de leurs caractères y compris la beauté, à leurs enfants des deux sexes (la phrase est de Darwin[3]). De sorte que les hommes les plus forts, en s’emparant des plus belles épouses, c’est à la beauté de la race qu’ils travaillent, mais non pas plus à la beauté de leurs filles que de leurs garçons.

— Faites attention à votre tour que raisonnant ainsi, plus vous diminuerez la beauté de la femme au profit de la beauté masculine, plus triomphant montrerez-vous l’instinct qui pourtant me rend celle-ci préférable.

— Ou plus opportun le secours de l’ornement et du voile.

— L’ornement n’est qu’un condiment. Quant au voile il peut un instant amuser, irriter le désir en différant une révélation plus complète… Si vous n’êtes pas sensible à la beauté féminine tant pis pour vous, et je vous plains, mais n’allez pas chercher à m’établir des règles d’esthétique générale sur un sentiment qui, malgré tout ce que vous pourrez dire, restera un sentiment particulier.

III

— Et c’est un « sentiment particulier » peut-être qui me montre dans la statuaire grecque, à quoi il nous faut bien revenir chaque fois que nous parlons de beauté, l’homme nu et la femme voilée ? Oui, dans cette prédilection quasi constante de l’art grec pour le corps de l’adolescent, du jeune homme, dans cette obstination à voiler le corps de la femme, plutôt que d’y reconnaître des raisons purement esthétiques, préférerez-vous, avec M. de Gourmont, y voir « le produit de la plus fâcheuse aberration sexuelle » ?

— Et quand il me plairait de l’y voir ! Vais-je apprendre de vous l’étendue des ravages de la pédérastie en Grèce ? Au surplus, le choix de ces modèles adolescents ne flattait-il pas simplement le vicieux penchant de quelques mécènes débauchés ? et n’est-il pas permis de douter si le sculpteur cédait à son instinct d’artiste ou non plutôt aux goûts de ceux qu’il servait ? Enfin nous ne pouvons nous rendre compte aujourd’hui de certaines nécessités ou convenances qui contraignaient alors l’artiste, décidaient de son choix, par exemple lors des jeux olympiques — convenances qui contraignaient sans doute aussi Michel-Ange à peindre, dans le plafond de la Sixtine, non des femmes, mais des adolescents nus, par respect pour la sainteté du lieu, et précisément pour n’éveiller point nos désirs. Au demeurant, quand on tiendrait, avec Rousseau, l’art pour responsable en partie, de la singulière corruption des mœurs grecques…

— Ou florentines. Car il est remarquable que toute grande renaissance ou exubérance artistique s’est toujours, et dans quelque pays que ce soit, accompagnée d’un grand débordement d’uranisme.

— D’un débordement de toutes les passions devriez-vous dire.

— Et le jour où l’on s’aviserait d’écrire une histoire de l’uranisme dans ses rapports avec les arts plastiques, ce n’est pas aux périodes de décadence qu’on le verrait s’épanouir, mais bien au contraire aux époques glorieuses et saines, aux époques précisément où l’art est le plus spontané et le moins près de l’artifice. Par contre il me paraît que, non point toujours, mais souvent, l’exaltation de la femme dans les arts plastiques est l’indice de la décadence, tout de même que nous voyons, chez les différents peuples où la coutume voulait que les rôles féminins, au théâtre, fussent tenus par des adolescents, la décadence de l’art dramatique commencer du jour où ces adolescents cèdent la place aux femmes.

— Vous confondez à plaisir cause et effet. La décadence a commencé du jour où le noble art dramatique s’est proposé de plaire aux sens plutôt qu’à l’esprit ; c’est alors, par mesure d’attrait, que la femme est montée sur la scène, d’où vous ne la délogerez plus. Mais revenons aux arts plastiques. Je songe tout à coup à l’admirable Concert Champêtre du Giorgione (où pourtant vous n’irez point, j’espère, voir une œuvre de décadence), qui représente, vous le savez, assemblés dans un parc, deux femmes nues, deux jeunes musiciens habillés.

— Plastiquement, littérairement du moins on n’oserait affirmer que les corps de ces femmes sont beaux ; too fat, comme dit Stevenson ; mais quelle blondeur de matière ! quelle molle, profonde et chantante luminosité ! Ne peut-on dire que, si la beauté masculine triomphe dans la sculpture, par contre la chair féminine prête plus au jeu des couleurs ? Voici bien, pensais-je devant ce tableau, l’antipode de l’art antique : éphèbes vêtus, femmes nues ; sans doute le sol où put éclore ce chef-d’œuvre dut rester bien pauvre en sculpture.

— Et bien pauvre en pédérastie ?

— Oh ! sur ce dernier point, un petit tableau du Titien me fait craindre de m’avancer.

— Quel tableau ?

Le Concile de Trente qui, tout au premier plan, mais de côté, dans l’ombre, présente des groupes de seigneurs ; deux de-ci, deux de-là, en postures peu équivoques. Et peut-être y faut-il voir une sorte de réaction licencieuse contre ce que vous appeliez tout à l’heure « la sainteté du lieu », mais, sans doute, et certains mémoires du temps nous aident à le croire, ces mœurs étaient-elles devenues assez communes pour qu’on ne s’en offusquât pas plus que ne font dans ce petit tableau les hallebardiers qui coudoient ces seigneurs.

— Vingt fois j’ai contemplé ce tableau sans y rien remarquer d’anormal.

— Nous ne remarquons, chacun, que ce qui nous intéresse. Mais, ici comme là, dans ce tableau comme dans ces chroniques vénitiennes, dirai-je que la pédérastie (qui semble du reste ici tourner à la sodomie), ne m’y paraît pas spontanée ; elle y semble bravade, vice, amusement exceptionnel de débauchés, de blasés. Et je ne puis me retenir de considérer que, parallèlement, loin d’être populaire et spontané, ou âprement jailli du sol même et du peuple comme celui de la Grèce et de Florence, l’art vénitien, « complément de la volupté environnante », disait Taine, fut un plaisir de magnifiques, comme celui de la renaissance française sous François Ier, si féministe, si chèrement acheté à l’Italie.

— Dégagez mieux votre pensée.

IV

— Oui, je crois que l’exaltation de la femme est l’indice d’un art moins naturel, moins autochtone que celui que nous présentent les grandes époques d’art uraniste. Tout comme je crois, excusez mon audace, l’homosexualité dans l’un et l’autre sexe, plus spontanée, plus naïve que l’hétérosexualité.

— Il n’est pas malaisé d’aller vite, dès qu’on ne s’inquiète plus d’être suivi, lui dis-je avec un haussement d’épaules ; mais il continuait sans m’écouter :

— C’est ce que Barrès a si bien compris lorsque, souhaitant peindre dans sa Bérénice une créature toute proche de la nature et n’obéissant qu’à l’instinct, il en fit une lesbienne, l’amie de la petite « Bougie Rose ». Ce n’est que par éducation qu’il l’élève jusqu’à l’amour hétérosexuel.

— Vous prêtez à Maurice Barrès de secrètes intentions qu’il n’avait pas.

— Dont peut-être il ne prévoyait pas les conséquences, pouvez-vous dire tout au plus ; car, dans les premiers livres de votre ami, vous savez bien que l’émotion même est intentionnelle. Bérénice représente pour moi, dit-il dogmatiquement, la force mystérieuse, l’impulsion du monde ; je trouve même, quelques lignes plus loin, une subtile intuition et définition de son rôle anagénétique, lorsqu’il parle de la sérénité de sa fonction qui est de pousser à l’état de vie tout ce qui tombe en elle ; fonction qu’il compare et oppose à sa catagénétique « agitation d’esprit ».

Le livre de Barrès n’était pas assez présent à mon esprit pour que je puisse discuter ; il continuait déjà :

— Je serais curieux de savoir si Barrès connaissait, si voisine de sa pensée, une opinion de Goethe sur l’uranisme, que rapporte le chancelier Müller ? (Avril 1830). Permettez que je vous la lise :

« Goethe entwickelte, wie diese Verirrung eigentlich daher komme, dass, nach rein aesthetischem Masstab, der Mann weit schöner, vorzüglicher, vollendeter als die Frau sei. »

— Vous prononcez si mal que j’ai peine à comprendre. Traduisez aussitôt, je vous prie.

Gœthe nous exposa comme quoi cette aberration venait proprement de ceci que, d’après la pure règle esthétique, le corps de l’homme était plus beau de beaucoup, et plus parfait, et plus accompli que le corps de la femme.

— Voilà qui n’a rien à voir avec ce que vous me citiez de Barrès, repris-je impatiemment.

— Attendez un instant ; nous parvenons au carrefour : Un pareil sentiment, une fois éveillé, oblique aisément vers le bestial. La pédérastie est vieille comme l’humanité même (Die Knabenliebe sei so alt wie die Menschheit, und man könne daher sagen, sie liege in der Natur) et l’on peut donc dire qu’elle est naturelle, qu’elle repose sur la nature (ob sie gleich gegen die Natur sei) encore qu’elle aille à l’encontre de la nature. Ce que la nature a gagné, a remporté sur la nature, qu’on ne le laisse plus échapper ; qu’à aucun prix on ne s’en dessaisisse.Was die Kultur der Natur abgewonnen habe, werde man nicht wieder fahren lassen ; es um keinen Preis aufgeben.

— Possible que les mœurs homosexuelles se soient acclimatées dans la race germanique assez profondément pour paraître, à certains Allemands, naturelles (les récents scandales d’outre-Rhin nous invitent à le supposer), mais, pour les cerveaux bien français, cette théorie de Gœthe restera, craignez-le, parfaitement ahurissante.

— Puisqu’il vous plaît de faire intervenir l’ethnique, laissez-moi vous lire ces quelques lignes de Diodore de Sicile[4], un des premiers écrivains à ma connaissance qui nous renseigne sur les mœurs de nos ancêtres : Bien que leurs femmes soient agréables, dit-il des Celtes, ils s’attachent fort peu à elles, tandis qu’ils manifestent une passion extraordinaire pour le commerce des mâles. Étendus sur les peaux de bêtes qui couvrent le sol, ils ont coutume de s’y rouler, ayant de part et d’autre un compagnon de couche.

— L’intention n’est-elle pas ici manifeste de discréditer ceux que les Grecs considéraient comme des Barbares ?

— Ces mœurs, alors, ne discréditaient point. Aristote, lui aussi, dans sa Politique, parle des Celtes, incidemment, et, après s’être plaint que Lycurgue ait négligé les lois relatives aux femmes, ce qui amène, dit-il, de grands abus, surtout lorsque les hommes sont portés à se laisser dominer par elles, disposition habituelle des races énergiques et guerrières. J’en excepte cependant, ajoute-t-il, les Celtes et quelques autres nations qui honorent ouvertement l’amour viril[5].

— Si ce que racontent vos Grecs est vrai, avouez que nous sommes revenus de loin !

— Oui, nous nous sommes un peu cultivés ; c’est là précisément ce que dit Goethe.

— Et vous m’invitez donc avec lui à considérer le pédéraste comme un arriéré, un inculte…

— Peut-être pas ; mais la pédérastie comme un instinct très naïf et primesautier.

— C’est là que cherchera sans doute son excuse cette inspiration si fréquemment homosexuelle de la poésie bucolique grecque et latine, où, plus ou moins facticement, prétendent revivre les naïves mœurs d’Arcadie[6].

— La poésie bucolique a commencé d’être factice du jour où le poète a cessé d’être amoureux du berger. Mais sans doute faut-il y voir aussi bien, ainsi que dans la poésie orientale, arabe ou persane, une conséquence de la situation faite à la femme et qu’il importera d’examiner ; une question de commodité… De ces paroles de Gœthe, je veux retenir surtout ce qu’elles admettent de culture, disons plutôt : d’apprentissage, dans l’hétérosexualité. Il peut être en effet naturel que l’homme enfant, l’homme primitif cherche indistinctement le contact, la caresse, et non précisément le coït ; et même que certains, que beaucoup, soient plus déconcertés et rebutés par le mystère d’un autre sexe, à présent que l’attrait de plus aucun parfum ne les guide. (Vous voyez que je laisse tomber l’argument de la moindre beauté, car je ne pense pas que l’attrait sexuel doive nécessairement en dépendre.) Et sans doute certains pourront être irrésistiblement attirés par un sexe plutôt que par l’autre, comme explique Aristophane dans le Banquet de Platon, mais, même et exclusivement attiré par l’autre sexe, je prétends que, complètement abandonné à sa particulière initiative, l’homme aurait assez de mal à oser le geste précis, et ne saurait l’inventer pas toujours, et s’y montrerait d’abord malhabile.

— L’amour a toujours guidé l’amoureux.

— Guide aveugle ; et puisque déjà vous employez ce mot : amour, que je voulais encore réserver — j’ajoute : l’amant sera d’autant plus malhabile qu’il sera plus amoureux ; oui, que de plus réel amour s’accompagnera son désir ; oui, dès que son désir ne sera plus uniquement égoïste, il pourra craindre de blesser l’être aimé. Et tant qu’il ne sera pas instruit par quelque exemple, fût-ce celui des animaux, par quelque leçon ou quelque initiation préalable, soit enfin par l’amante elle-même…

— Parbleu ! comme si le désir de l’amant ne devait trouver un complément suffisant dans le désir réciproque de l’amante !

— Je n’en suis pas plus convaincu que ne l’était Longus. Souvenez-vous des erreurs, des tâtonnements de Daphnis. Quoi ! n’a-t-il pas besoin, ce grand maladroit d’amoureux, qu’une courtisane l’instruise ?

— Les maladresses et les lenteurs dont vous parlez, ne sont là que pour fournir à ce roman si nu quelque étoffe et quelque aventure.

— Non, non ! Sous un léger revêtement d’afféterie, je reconnais dans ce livre admirable une profonde science de ce que M. de Gourmont appelle la Physique de l’Amour, et je tiens l’histoire de Daphnis et Chloé pour exemplairement naturelle.

— Où prétendez-vous en venir ?

— À ceci : que les bergers sans instruction de Théocrite besognaient plus naïvement ; que cette énigme de l’autre sexe, « l’instinct » ne suffit pas toujours, ne suffit pas souvent, à la résoudre : il y faut quelque application. Simple commentaire aux paroles de Gœthe…

Et voilà pourquoi nous voyons, dans Virgile, Damœtas pleurer encore la fuite de Galathée sous les saules, cependant que déjà Ménalque, près d’Amyntas, goûte un plaisir sans réticences.

At mihi sese offert ultro, meus igni, Amyntas.

Quand l’amant est près de son aimé, dit admirablement Léonard de Vinci, il se repose.

— Si l’hétérosexualité comporte quelque apprentissage, avouez qu’il ne manque pas aujourd’hui, dans les campagnes et les villes, d’apprentis plus précocement dégourdis que Daphnis.

— Tandis que, de nos jours, même (ou surtout) dans les campagnes, les jeux homosexuels sont assez rares, et assez déconsidérés. Oui ; nous le disions avant-hier : tout, dans nos mœurs et dans nos lois, précipite un sexe vers l’autre. Quelle conspiration, soit clandestine, soit avouée, pour persuader au jeune garçon, dès avant l’éveil du désir, que tout plaisir se goûte avec la femme ; qu’en dehors d’elle il n’est point de plaisir. Quelle exagération, jusqu’à l’absurde, des attraits du « beau sexe », en regard du systématique effacement, de l’enlaidissement, de la ridiculisation du masculin. Contre quoi s’insurgeront pourtant certains peuples artistes, chez qui nous avons vu le sens de la ligne l’emporter sur le souci des « convenances », aux époques les plus vaillantes et les plus admirées.

— J’ai déjà répondu sur ce point.

— En admirant avec M. Perrier, s’il m’en souvient, ce constant souci de parure par quoi l’éternel féminin cherche, de tout temps et partout, à aviver le désir de l’homme, à suppléer une insuffisante beauté.

— Oui : ce que vous appelez : « l’attrait postiche ». Qu’avez-vous su prouver ? Que l’ornement sied aux femmes. La belle avance ! Rien de plus déplaisant qu’un homme qui s’attife et se farde.

— Encore une fois, la beauté de l’adolescent n’a que faire du fard ; nous l’avons vu dans la statuaire grecque triompher dans sa nudité. Mais que votre réprobation veuille bien faire la part de nos coutumes occidentales ; car vous n’ignorez pas que les orientaux, entre autres, ne pensent pas toujours comme nous[7]. Parez seulement l’adolescent, ornez-le, au lieu de le cacher, de l’abîmer, mettez en valeur sa beauté, vous pouvez présumer ce qui en résulte d’après cette page de Montesquieu :

À Rome les femmes ne montent pas sur le théâtre ; ce sont des castrati habillés en femmes. Cela fait un très mauvais effet pour les mœurs : car rien (que je sache) n’inspire plus l’amour philosophique aux Romains. Et plus loin : Il y avait de mon temps à Rome, au théâtre de Capranica, deux petits châtrés, Mariotti et Chiostra, habillés en femmes, qui étaient les plus belles créatures que j’aie vues de ma vie, et qui auraient inspiré le goût de Gomorrhe aux gens qui ont le goût le moins dépravé à cet égard.

Un jeune Anglais, croyant qu’un de ces deux était une femme, en devint amoureux à la fureur, et on l’entretint dans cette passion plus d’un mois. Autrefois, à Florence, le grand duc Côme III avait fait le même règlement (?) par dévotion. Jugez quel effet cela devait produire à Florence, qui a été, à cet égard, la nouvelle Athènes ! (Voyages, I, pp. 220 et 221) et il cite à ce sujet le « Chassez le naturel, il revient au galop » d’Horace :

Naturam expelles furea, tamen usque recurret à quoi nous pourrons bien donner le sens que nous voudrons.

— Car je vous entends bien, à présent : le « naturel » pour vous c’est l’homosexualité ; et ce que l’humanité avait encore l’impertinence de considérer comme les rapports naturels et normaux, ceux entre l’homme et la femme, voilà pour vous l’artificiel. Allons ! osez le dire.

Il se tut un moment ; puis :

— Sans doute il est aisé de pousser à l’absurde ma pensée ; mais elle ne paraîtra plus si téméraire lorsque, dans mon livre, je la laisserai tout naturellement découler des prémisses que nous avons tout à l’heure posées.

Je le priai donc de revenir à ce livre qu’il me semblait que depuis trop longtemps nous avions perdu de vue. Il reprit :

V

— Hier j’avais tenté de vous montrer que l’impérativité de « l’instinct sexuel » demeurait, chez les animaux, beaucoup moins constamment pressante et précise qu’on ne se plaît communément à l’affirmer ; et je cherchais à démêler, à travers le complexe faisceau que ces mots « instinct sexuel » saisissent indistinctement à poignée, quelle est la pure leçon de l’organe, son exigence, quelle est la transigeance du goût, quelle est l’obéissance au motif extérieur, à l’objet ; je découvrais que le faisceau de tendances ne se trouve compact et bouclé qu’à ce moment unique où l’odeur de l’ovulation guide le mâle et le précipite au coït.

J’observais aujourd’hui : qu’aucun parfum n’assujettit le sens de l’homme, et que la femme, ne disposant d’aucune suasion péremptoire (j’entends : de cet irrésistible attrait momentané de l’animale) ne pouvait plus prétendre qu’à être constamment désirable, et s’y appliquait savamment, avec l’assentiment, l’encouragement et le secours (dans nos pays occidentaux du moins) des lois, des mœurs, etc. J’observais que l’artifice souvent, et la dissimulation (dont la forme noble est pudeur), que l’ornement et le voile subviennent à l’insuffisance d’attrait… Est-ce à dire que certains hommes ne seraient pas attirés irrésistiblement vers la femme (ou vers telle femme en particulier) quand bien dénuée de parure ? Non certes ! comme nous en voyons d’autres qui, malgré toutes les sollicitations du beau sexe, les injonctions, les prescriptions, le péril, demeurent irrésistiblement attirés par les garçons. Mais je prétends que, dans la plupart des cas, l’appétit qui se réveille en l’adolescent n’est pas d’une bien précise exigence ; que la volupté lui sourit, de quelque sexe que soit la créature qui la dispense, et qu’il est redevable de ses mœurs plutôt à la leçon du dehors, qu’à la décision du désir ; ou, si vous préférez, je dis qu’il est rare que le désir se précise de lui-même et sans l’appui de l’expérience. Il est rare que les données des premières expériences soient dictées uniquement par le désir, soient celles-là mêmes que le désir eût choisies. Il n’est pas de vocation plus facile à fausser que la sensuelle et…

— Et quand cela serait !… Car je vous vois venir : vous insinuez déjà que si l’on abandonnait chaque adolescent à soi-même et si l’objurgation extérieure ne s’en mêlait — autrement dit : si la civilisation se relâchait — les homosexuels seraient encore plus nombreux qu’ils ne sont.

À moi de vous servir le mot de Gœthe : Cette victoire que la culture a remportée sur la Nature, il ne faut point la laisser échapper ; il ne faut s’en dessaisir à aucun prix.

 

  1. D’une naïveté semblable ces quelques lignes d’Addison que je cueille dans le Spectator (no 265). « It is observed among birds, that nature has lavished all her ornaments upon the male, who very often appears in a most beautiful head dress : whether it be a crest, a comb, a tuft of feathers, or a natural little plume, erected like a kind of pinnacle on the very top of the head. As nature, on the contrary, has poured out her charms in the greatest abundance on the female part of our species, so they are very assiduous in bestowing upon themselves the finest garniture of art. The peacock in all his pride does not display half the colours that appear in the garment of a British Lady, when she is dressed either for a ball or a birthday… ». Ou faut-il voir là de l’ironie ?
  2. « Cependant elles ont quelques coutumes fort jolies ; celle, par exemple, de porter une fleur blanche ou écarlate sur le derrière de la tête ou dans un petit trou percé dans chaque oreille. »
    (Voyage d’un Naturaliste, p. 434.)
  3. Descendance de l’homme.
  4. Livre V, 32.
  5. Aristote, Politique, II, 6 et 7.
  6. « Les amours étranges dont sont pleines les élégies des poètes anciens et qui nous surprenaient tant, et que nous ne pouvions concevoir sont donc vraisemblables et possibles. Dans les traductions que nous en faisions nous mettions des noms de femmes à la place de ceux qui y étaient. Juventius se terminait en Juventia ; Alexis se changeait en Xanthè. Les beaux garçons devenaient de belles filles ; nous recomposions ainsi le sérail monstrueux de Catulle, de Tibulle, de Martial et du doux Virgile. C’était une fort galante occupation qui prouvait seulement combien peu nous avions compris le génie antique. »

    Gautier, Mademoiselle de Maupin, t. II, chap. IX, pp. 13 et 14 (première édition).

  7. C’est ainsi que le charmant Gérard de Nerval, tout près de s’enflammer, raconte-t-il, pour deux « séduisantes almées » qu’il voit danser en Égypte dans le plus beau café du Mousky — et qu’il nous peint comme « fort belles, à la mine fière, aux yeux arabes avivés par le khôl, aux joues pleines et délicates » — à l’instant qu’il « se disposait à leur coller sur le front quelques pièces d’or, selon les traditions les plus pures du Levant » — s’aperçoit à temps que ses belles danseuses sont de jeunes garçons qui méritent tout au plus qu’on leur « jette quelques paras ».
    (Voyage en Orient, t. I, p. 140 et 141.)