Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/15/1788/Décembre

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (Volume 15p. 353-370).

DÉCEMBRE.

Maillard, ou Paris sauvé (sujet tiré de l’histoire de France, année 1358), tragédie en prose et en cinq actes, par M. Sedaine, de l’Académie française. Brochure in-8o, avec cette épigraphe :


Tragicus plerumque dolet sermone pedestri.

(Horat.)

M. Sedaine se plaint, dans la préface qu’il a mise à la tête de cet ouvrage, d’en avoir sollicité inutilement la représentation depuis dix-sept ans ; c’est surtout l’ombre de Le Kain qu’il

accuse de ce malheur ou de cette injustice ; il prétend que ce célèbre comédien, que nous avons si peu d’espoir de voir remplacé jamais, déclara dans le temps qu’il ne prostituerait jamais son talent à faire valoir de la prose. Les gens de lettres qui ont conservé un respect trop religieux pour les chefs-d’œuvre de Corneille, de Racine et de Voltaire, sont tous complices de la proscription contre laquelle réclame M. Sedaine : ils ont craint, dit-il, que Paris sauvé ne prouvât, malgré la chute de l’Œdipe de La Mothe, que l’on pouvait faire des tragédies en prose, et la facilité que tout homme de lettres aurait de profaner le temple de Melpomene leur a paru trop dangereuse. Nous ne répéterons point tout ce qu’on a écrit pour démontrer que nos tragédies ont besoin d’être écrites en vers ; que ce travail de la versification n’a pas seulement le mérite de la difficulté vaincue, comme le prétendait La Mothe et comme voudrait le persuader après lui M. Sedaine ; nous nous bornerons à observer que notre langue, dont le premier mérite est une élégante clarté, n’ayant presque point d’inversions, étant naturellement peu accentuée, le rhythme, la mesure, la rime même, sont des entraves qui lui sont nécessaires pour s’élever à cette précision harmonieuse, à cette noblesse de style soutenue qu’exige le cothurne tragique. À l’appui de cette réflexion, nous rappellerons la fameuse strophe d’une ode de M. de La Faye, par laquelle M. de Voltaire répondit à La Mothe, qui, après avoir fait tant de bons et de mauvais vers, pour justifier son Œdipe en prose, osa soutenir que la versification n’était qu’un travail mécanique et ridicule.


De la contrainte rigoureuse
Où l’esprit semble resserré,
Il reçoit cette force heureuse
Qui l’élève au plus haut degré.
Telle dans les canaux pressée,
Avec plus de force élancée,
L’onde s’élève dans les airs ;
Et la règle qui semble austère
N’est qu’un art plus certain de plaire,
Inséparable des beaux vers.

On peut répondre de plus à M. Sedaine, qu’en supposant que le plan sur lequel il a conçu sa tragédie de Maillard soit aussi régulier, aussi simple, et en même temps aussi dramatique que ceux des meilleures tragédies de nos grands maîtres, des vers faits comme ceux de Corneille, de Racine, de Voltaire, n’auraient pas nui du moins à son succès, et qu’il est trop généreux à lui de s’interdire un moyen de réussir que tant de grands hommes n’ont pas cru devoir négliger.

Au reste, ce n’est pas le refus des Comédiens, encore moins l’opinion de ceux qui pensent qu’on ne peut pas faire de bonnes tragédies en prose, qui a empêché pendant dix-sept ans la représentation de Paris sauvé, c’est la prudence du ministère public, qui n’a pas cru qu’il convint de présenter sur le théâtre de la nation des Français révoltés contre leur roi ; et dans la circonstance actuelle, il s’est permis encore de penser que de quelque manière que M. Sedaine eût traité ce point de notre histoire, on n’offrirait point sans quelque inconvénient sur la scène un Marcel, qui mérita bien sans doute sa fin déplorable par tous les crimes, par tous les attentats qu’il commit contre son souverain, mais dont le caractère audacieux rappellerait trop peut-être qu’il ne devint si criminel que parce que Jean II avait manqué de foi à ses sujets, en dérogeant à la charte que lui-même força son souverain d’accorder à la nation, aux états de 1355, charte semblable à peu près à celle que les Anglais obtinrent de leur roi Jean-Sans-Terre, et sur laquelle reposent encore aujourd’hui les libertés de l’Angleterre. Tels sont les vrais motifs qui ont arrêté et qui pourront arrêter longtemps encore à Paris la représentation de l’ouvrage de M. Sedaine.

On y retrouve sans doute toute l’originalité qui caractérise le talent dramatique de l’auteur. Le mariage secret d’Héloïse avec le fils de Marcel est une idée des plus heureuses ; sans cette fiction, il était impossible de concevoir le plan de cette tragédie ; tous les ressorts de l’intrigue, tout l’intérêt qu’elle inspire tiennent à ce trait de génie. Le reste de l’action offre beaucoup de détails languissants, des allées, des venues sans nécessité, sans objet ; les développements, qui n’ont presque jamais le mérite de la pureté du style, n’ont pas même toujours celui de l’éloquence que demandaient quelques-unes des situations que M. Sedaine a eu l’art d’amener si heureusement dans cet ouvrage. Parmi celles qui ne pourraient manquer d’avoir un grand effet au théâtre, on distinguera la scène où Maillard paraît au milieu des conjurés à l’instant même où l’un d’eux vient d’enfoncer son poignard dans la table ; celle où le délire et les cris d’Héloïse appellent si naturellement son père après que son époux lui a avoué le projet de la conjuration. Par ces moyens d’une invention vraiment dramatique, l’ouvrage aurait pu se soutenir à la représentation, mais les défauts qui le déparent, et que nous n’avons fait qu’indiquer légèrement, ne lui laisseront peut-être pas le même avantage à la lecture ; nous craignons donc que cette nouvelle production n’ajoute pas beaucoup à la gloire littéraire de M. Sedaine. Ce qui doit l’honorer le plus, c’est d’apprendre au public que la plus grande souveraine de l’Europe a bien voulu que cet ouvrage fût représenté devant elle, et sur le théâtre de la capitale de son vaste empire[1]. Paris sauvé, joué à Pétersbourg, prouve bien que le souverain qui n’use du pouvoir absolu que pour le bonheur de ses peuples doit peu redouter qu’on présente à leurs yeux le tableau des suites funestes de ce pouvoir.

Apologue tiré d’une feuille périodique qui s’imprime en Bretagne, intitulée la Sentinelle du peuple, No 11[2].

Une dame du premier rang, mais d’une mauvaise constitution, avait vécu jusqu’à ce jour infirme et grabataire ; les charlatans qui la traitaient, disant qu’elle était trop faible pour marcher, et qu’elle avait d’ailleurs des vertiges, ne lui permettaient pas de se lever. Pendant ce temps, c’était, dans la maison, dissipation de toute espèce, intendants, aumôniers, officiers, laquais, gens d’écurie, femme de chambre et dame de compagnie ; c’était à qui pillerait le mieux le revenu de la malade, et ce revenu était immense. Les charlatans ne s’oubliaient pas, et l’on voyait en peu de temps des gens venus du Pont-Neuf avec la cape et l’épée acquérir hôtels et châteaux, et mener un vrai train de princes. Le scandale était public, les fermiers en gémissaient, les voisins en médisaient, le maître seul ignorait le désordre, et personne ne pouvait ou n’osait l’instruire chez les grands l’accès est si difficile !

Cependant, il y a quelques années, un médecin étranger s’introduisit, on ne sait trop comment ; et ayant pu approcher le maître, il l’avertit que la maladie de sa femme n’était pas ce que l’on disait, que sa grande faiblesse ne venait que d’un régime mal entendu, d’une diète beaucoup trop sévère, et surtout de purgations excessives ; qu’elle n’avait besoin, pour se rétablir, que de développer ses forces par l’exercice et l’usage de l’air libre. Le mari, qui ne désirait que la meilleure santé de sa femme, la confia à ce médecin ; et en effet, malgré des circonstances critiques qui survinrent, il améliora sensiblement son état.

Mais les sangsues de la maison, intendants, charlatans de compagnie, etc., songèrent que si la grande dame recouvrait la santé, elle régirait elle-même sa fortune ; c’est pourquoi, craignant la réforme, ils intriguèrent si bien auprès du maître qu’il congédia le médecin, et la malade de retomber aux mains des charlatans, et les charlatans de la repurger, resaigner, remettre à la diète, tant et si bien qu’enfin il fut évident qu’elle allait périr dans leurs mains.

Alors les sangsues de la maison avisant que si la grande dame mourait tout à fait, elles-mêmes seraient frustrées, ont rappelé le médecin. Lui, qui aime beaucoup son métier, est revenu sans rancune, et, quoiqu’il ait trouvé sa malade beaucoup plus faible qu’auparavant, il a persisté dans son premier avis, et prononcé qu’il fallait d’abord la lever. En conséquence, l’on a demandé ses hardes et ses souliers ; mais hardes et souliers présentés, rien ne s’est trouvé de mesure ; depuis le temps que la malade ne s’en est pas servie, ses membres ont pris d’autres formes, et sur ce cas grand embarras dans le logis. Chez gens du peuple comme nous, c’eût été chose toute simple, on lui eût pris mesure nouvelle et on l’eût habillée de neuf ; mais chez les grands, il faut plus de mystères. Après y avoir bien songé, l’on a mandé les quatre Facultés et les chefs des arts et métiers. Un vendredi, au mois de novembre, se tint leur première assemblée, et là, le fait bien exposé, les avis, comme il est d’usage, se sont trouvés fort partagés. En somme, il y a deux grands partis contraires : l’un, procédant au plus tôt fait, dit qu’il ne s’agit que de prendre la mesure actuelle du corps et de faire des vêtements neufs et conformes ; l’autre, et ce sont les gens graves et posés, soutient qu’il faut opérer avec plus de méthode, et qu’on ne peut, dans les bonnes règles, vêtir la dame sans avoir fait auparavant un inventaire de tout son garde-meuble, pour bien constater les rapports de ses anciens vêtements à sa taille actuelle. En conséquence, l’on a fouillé toutes les armoires du garde-meuble, et, comme la dame est de famille ancienne, on a trouvé des habillements de ses mère, grand’mère, même bisaïeule, robes romaines, coiffures grecques, chaussures gothiques et gauloises, tout quoi l’on va, comme de raison, lui essayer, sans oublier son premier béguin et son premier petit soulier. La dame, qui s’impatiente, crie que tout cela est inutile, qu’on lui fait perdre un temps précieux, que depuis son bas âge les modes ont changé, et qu’elle ne veut plus qu’on lui parle de carcans ni d’esclavages, fussent-ils d’or, ni de précepteurs d’acier, ni de corset de baleineii, ni de plombs au coude, etc.

Les choses en sont là, et l’on ne sait comment cela finira ; mais tout le monde plaint cette pauvre dame d’avoir affaire, pour s’habiller, aux docteurs des quatre Facultés, car les gens à bonnet carré aiment les vieux usages et n’entendent rien aux nouvelles modes.

— Le 19 novembre, on a donné, au Théâtre-Français, la première représentation de l’Amour exilé des cieux, comédie en vers et en un acte, de Mme Dufrénoy, l’auteur du Journal lyrique[3].

La manière dont Mme Dufrénoy s’est permis d’altérer un des traits les plus heureux de la mythologie a d’autant moins réussi, que tout le monde s’est rappelé la jolie comédie de l’Oracle[4], faite sur le même fond. On avait applaudi, dans les premières scènes, quelques madrigaux et quelques vers assez bien tournés, comme celui-ci :


Tout exilé qu’on est, il faut que l’on s’amuse.

Observations sur l’histoire de France, par l’abbé de Mably, nouvelle édition, continuée jusqu’au règne de Louis XIV, et précédée de l’Éloge historique de l’auteur, par M. l’abbé Brizard. 4 vol.  in-12.

Les deux premiers volumes de cet ouvrage, qui parurent en 1765[5], finissaient à l’époque où les grands fiefs furent à la couronne sous le règne des trois fils de Philippe le Bel. Les deux derniers embrassent la suite de notre histoire, depuis l’avènement de Philippe de Valois au trône jusqu’à Louis XIV. Quoique, dans la première partie de l’ouvrage, on n’eût fait qu’indiquer les moyens par lesquels nos grands tribunaux usurpèrent une partie de la puissance nationale en conspirant avec l’autorité à en dépouiller les états généraux, cette doctrine parut dans le temps si dangereuse, que l’on fut prêt à la dénoncer au Parlement et à en décréter l’auteur ; il n’y eut que l’amitié active de l’abbé Quesnel, précepteur de M. le duc de Penthièvre, qui para le coup par les sollicitations de Mme de Brionne, de Mme d’Enville, et surtout par la protection de M. le duc de Choiseul : l’influence ministérielle avait alors quelque pouvoir sur les dispositions du Palais. Aujourd’hui que les cours souveraines semblent avoir adopté elles-mêmes le sentiment de l’abbé de Mably, en reconnaissant leur incompétence à consentir l’impôt par leur enregistrement, ses mânes doivent plus facilement trouver grâce à leurs yeux. Est-il bien sûr cependant qu’on pardonne à cet écrivain de bonne foi d’avoir osé dire si crûment que tout prouve que le Parlement aime le despotisme, pourvu qu’il le partage ? La manière dont l’auteur peint l’esprit de ce corps, non pas tel qu’il est de nos jours, mais tel qu’il fut vers la fin du règne de François Ier, nous a paru un morceau digne de Tacite ; et peut-être suffira-t-il de cette seule citation pour donner une juste idée du mérite de cet excellent ouvrage, le plus précieux monument sans doute que l’on ait encore élevé sur les débris de notre histoire.

« Le Parlement, humilié et non vaincu…, continua à se regarder comme le dépositaire et le protecteur des lois, et peut-être même comme le tuteur de la royauté. Pour que le gouvernement ne lui contestât pas son droit, il en usa avec modération ; il songea à se rendre agréable, et s’appliqua à étendre l’autorité royale quand le poids n’en devait pas retomber sur lui. Il fléchit quand il crut qu’il y aurait du danger à résister, ou qu’il ne s’agissait que de passer des injustices dont il ne sentirait pas le premier les inconvénients. Il mit de certaines formes dans son obéissance, afin de la rendre équivoque, et de contenter à la fois, s’il était possible, la cour et le public. Soit qu’il faille l’attribuer à une politique fausse et trop commune, qui, ne sachant… se décider, se contrarie elle-même, soit qu’elle soit la marche naturelle d’un corps qui, ayant des projets au-dessus de ses forces, a tour à tour de la crainte et de la confiance, sa conduite fut si embrouillée et si mystérieuse qu’on ne savait pas mieux sur la fin du règne de François Ier ce qu’il fallait penser de l’enregistrement qu’on ne l’avait su sous Charles VII. Le Conseil et le Parlement gardaient tous deux le silence… Chacun attendait avec patience un moment favorable pour découvrir, si je puis parler ainsi avec Tacite, le secret de l’empire, et expliquer une énigme que nos neveux ne devineront peut-être jamais, mais qui, nous laissant incertains entre le despotisme de la cour et l’aristocratie du Parlement, jette dans notre administration je ne sais quoi de louche et d’obscur qui nuit à la dignité des lois et à la sûreté des citoyens, et indique un gouvernement sans principes, qui se conduit au jour le jour par les petites vues de quelque intérêt particulier. »

Si l’abbé de Mably juge avec beaucoup de sévérité la conduite des Parlements, il n’a pas plus d’indulgence pour les autres ordres de l’État, pour la noblesse, pour le clergé, pour la finance, pour les ministres, pour le corps entier de la nation ; il révèle avec la même impartialité toutes les injustices ; il pèse avec la même sagacité toutes les fautes et toutes leurs conséquences. Examinez, dit-il, le caractère de la nation française, il est conforme à son gouvernement, et nous ne portons en nous-mêmes aucun principe de révolution… Il proteste, en terminant son ouvrage, et il suffit de l’avoir lu pour l’en croire, il proteste qu’il n’a voulu nuire à personne ni à aucun ordre de l’État. « J’ai été obligé de dire des choses dures, mais la vérité me les a arrachées. Je suis historien, je suis Français ; et quelle n’aurait pas été ma satisfaction, si au lieu d’un Philippe le Bel, d’un Charles V, d’un Louis XI, j’avais pu peindre des Charlemagne ! Le bonheur de mes compatriotes est l’objet que je me suis proposé ; mais ce bonheur n’existera jamais si nous ne nous corrigeons pas de nos erreurs et de nos vices. »

Pour la récompense de son zèle, que n’a-t-il pu lire tout ce que fait le Dauphiné depuis six mois !


APOLOGUE.

Trois frères occupaient une même maison ;
Leur bien, leur intérêt, leur père était le même,
L’un était au premier, le cadet au second,
L’un Le dernier de tous au troisième.
L’un L’aîné battait ses gens, chassait,
L’un Buvait, et de tout s’amusait.
L’un Le second faisait des prières.
L’un Le dernier faisait les affaires
Et payait. Le ménage allait d’après cela
Tant bien que mal. Un jour la maison mal construite
L’un Craque, fléchit, et tout de suite
Du comble au fondement le mal se déclara.
Un architecte sage, et qui par ses lumières
L’un Ses talents, ses vertus sincères,
Se faisait en tous lieux admirer et chérir,
Mandé dans la maison, la voit, dit aux trois frères :
« Je peux la réparer, mais il faut vous unir.
L’un — Moi ! dit l’aîné, moi voir mon frère
Qui demeure au troisième ! ah ! vous riez, je crois.
L’un Mais où donc ? j’ai l’âme trop fière
Pour monter dans sa chambre. Eh ! qu’il vienne chez moi.
Oh ! disait le second, je suis chez moi, j’y reste.
Le dernier doit payer, l’aîné doit ordonner,
L’un Moi jouir et ne rien donner.
— Mais, disait le troisième avec un ton modeste,
Au lieu de nous fâcher tâchons de raisonner. »
L’un Vain souhait ! parole inutile !
Ils s’injuriaient tous sans titre et sans égard,
Lorsqu’au milieu d’eux parut certain bâtard
L’uDe la maison, qui faisant l’homme habile,
L’un Criait toujours, parlementait,
Sans qu’on le demandât descendait, remontait,
L’un Et ne restant jamais tranquille,
Raisonnait sans principe et parlait sans objet,
Le matin pour l’aîné, le soir pour le cadet.
Bien loin de l’apaiser il augmenta le trouble.
Mais alors que l’on crie et que le bruit redouble,
L’uLa maison tombe et les écrase tous.
L’un Français ! Français ! qu’en dites-vous ?

— L’extrême rigueur de la saison n’a pas empêché qu’il n’y eût une grande affluence d’auditeurs à la dernière séance de l’Académie française, tenue le jeudi 11 de ce mois, pour la réception de M. Vicq d’Azyr. Monseigneur le prince Henri de Prusse l’a honorée de sa présence. On devait bien s’attendre que le récipiendaire ayant à faire l’éloge d’un académicien aussi célèbre que M. de Buffon, le choix du sujet de son discours l’embarrasserait bien moins que la manière de le traiter la plus propre à remplir une si grande attente. Le parti qu’il a pris n’est pas sans doute celui qui pouvait produire le plus d’effet, mais c’est du moins celui qu’il était le plus facile de faire approuver généralement ; au lieu de se livrer aux mouvements d’une éloquence vive et passionnée, au lieu de prodiguer au génie, aux talents de l’Aristote français l’hommage d’une admiration exclusive, il s’est borné à faire l’analyse de ses ouvrages, et l’a faite avec autant de justesse que d’élégance, avec autant de savoir que d’impartialité. Voici l’idée générale qu’il nous donne du caractère qui distingue les travaux de cet illustre écrivain :

« Il excelle surtout dans l’art de généraliser ses idées et d’enchaîner ses observations. Souvent, après avoir recueilli des faits jusqu’alors isolés et stériles, il s’élève et arrive aux résultats les plus inattendus. En le suivant, les rapports naissent de toutes parts ; jamais on ne sut, donner à des conjectures plus de vraisemblance, et à des doutes l’apparence d’une impartialité plus parfaite. Voyez avec quel art, lorsqu’il établit une opinion, les probabilités les plus faibles sont placées les premières ; à mesure qu’il avance il en augmente si rapidement le nombre et la force que le lecteur subjugué se refuse à toute réflexion qui porterait atteinte à son plaisir. Pour éclairer les objets, M. de Buffon emploie, suivant le besoin, deux manières ; dans l’une un jour doux, égal, se répand sur toute la surface ; dans l’autre une lumière vive, éblouissante, ne frappe qu’un seul point. Personne ne voila mieux ces vérités délicates qui ne veulent qu’être indiquées aux hommes ; et dans son style, quel accord entre l’expression et la pensée ! Dans l’expression des faits, sa phrase n’est qu’élégante ; s’il décrit une expérience, il est précis et clair, on voit l’objet dont il parle, et pour des yeux exercés c’est le trait d’un grand artiste ; mais on s’aperçoit sans peine que ce sont les sujets les plus élevés qu’il cherche et qu’il préfère ; c’est en les traitant qu’il déploie toutes ses forces et que son style montre toute la richesse de son talent… En lui la clarté, cette qualité précieuse des écrivains, n’est point altérée par l’abondance. Les idées principales, distribuées avec goût, forment les appuis du discours ; il a soin que chaque mot convienne à l’harmonie autant qu’à la pensée ; il ne se sert, pour désigner les choses communes, que de ces termes généraux qui ont avec ce qui les entoure des liaisons étendues. À la beauté du coloris se joint la vigueur du dessin, à la force s’allie la noblesse ; l’élégance de son langage est continue, son style est toujours élevé, souvent sublime, imposant et majestueux ; il charme l’oreille, il séduit l’imagination, il occupe toutes les facultés de l’esprit, et, pour produire ces effets, il n’a besoin ni de la sensibilité qui émeut et qui touche, ni de la véhémence qui entraîne et qui laisse dans l’étonnement celui qu’elle a frappé, etc. »

Après avoir tracé le plan de l’Histoire naturelle de M. de Buffon, le nouvel académicien s’arrête pour fixer un instant ses regards sur l’ensemble de ce beau monument. « Parmi tant d’idées exactes et de vues neuves, comment ne reconnaîtrait-on pas, dit-il, une raison forte que l’imagination n’abandonne jamais, et qui, soit qu’elle s’occupe à discuter, à diviser ou à conclure, mêlant des images aux abstractions et des emblèmes aux vérités, ne laisse rien sans liaison, sans couleur ou sans vie, peint ce que les autres ont décrit, substitue des tableaux ornés à des détails arides, des théories brillantes à de vaines suppositions, crée une science nouvelle, et force tous les esprits à méditer sur les objets de son étude, et à partager ses travaux et ses plaisirs ? »

Voulant mettre M. de Buffon en parallèle avec ses adversaires, il le compare d’abord avec l’abbé de Condillac, selon lui le plus redoutable de tous. « Son esprit, dit-il, jouissait de toute sa force dans la dispute ; celui de M. de Buffon y était en quelque sorte étranger. Qu’on jette les yeux sur ce qu’ils ont dit des sensations ; la statue de M. l’abbé de Condillac, calme, tranquille, ne s’étonne de rien, parce que tout est prévu, tout est expliqué par son auteur. Il n’en est pas de même de celle de M. de Buffon : tout l’inquiète, parce qu’abandonnée à elle-même elle est seule dans l’univers ; elle se meut, elle se fatigue, elle s’endort, son réveil est une seconde naissance, et comme le trouble de ses esprits fait une partie de son charme, il doit excuser une partie de ses erreurs… Dans l’une on admire une poésie sublime, dans l’autre une philosophie profonde. »

Un parallèle encore plus adroit peut-être est celui qu’il fait entre le pline de la France et celui de la Suède. « Le savant d’Upsal dévoua tous ses moments à l’observation ; l’examen de vingt mille individus suffit à peine à son activité. Il se servit, pour les classer, de méthodes qu’il avait inventées ; pour les décrire, d’une langue qui était son ouvrage ; pour les nommer, de mots qu’il avait fait revivre ou que lui-même avait formés ; ses termes furent jugés bizarres ; on trouva que son idiome était rude, mais il étonna par la précision de ses phrases, il rangea tous les êtres sous une loi nouvelle. Plein d’enthousiasme, il semblait qu’il eût un culte à établir et qu’il en fût le prophète. Avec tant de savoir et de caractère, Linné s’empara de l’enseignement dans les écoles, il y eut les succès d’un grand professeur : M. de Buffon a eu ceux d’un grand philosophe. Plus généreux, Linné aurait trouvé dans les ouvrages de M. de Buffon des passages dignes d’être substitués à ceux de Sénèque, dont il a décoré le frontispice de ses divisions. Plus juste, M. de Buffon aurait profité des recherches de ce savant laborieux. Ils vécurent ennemis, parce que chacun regarda l’autre comme pouvant porter quelque atteinte à sa gloire. Aujourd’hui que l’on voit combien ces craintes étaient vaines, qu’il me soit permis, à moi leur admirateur et leur panégyriste, de rapprocher, de réconcilier ici leurs noms, sûr qu’ils ne me désavoueraient pas eux-mêmes s’ils pouvaient être rendus au siècle qui les regrette et qu’ils ont tant illustré. »

La manière dont travaillait M. de Buffon nous a paru décrite avec beaucoup d’intérêt dans le morceau suivant :

« À Montbard, au milieu d’un jardin orné, s’élève une tour antique ; c’est de là que M. de Buffon a écrit l’histoire de la nature, c’est de là que sa renommée s’est répandue dans l’univers. Il y venait au lever du soleil, et nul importun n’avait le droit de l’y troubler. Le calme du matin, les premiers chants des oiseaux, l’aspect varié des campagnes, tout ce qui frappait ses sens le rappelait à son modèle. Libre, indépendant, il errait dans les allées ; il précipitait, il modérait, il suspendait sa marche, tantôt la tête vers le ciel dans le mouvement de l’inspiration, et satisfait de sa pensée, tantôt recueilli, cherchant et ne trouvant pas ou prêt à produire. Il écrivait, il effaçait, il écrivait de nouveau pour effacer encore ; rassemblant, accordant avec le même soin, le même goût, le même art toutes les parties du discours ; il le prononçait à diverses reprises, se corrigeant à chaque fois, et, content enfin de ses efforts, il le déclamait de nouveau pour lui-même, pour son plaisir et comme pour se dédommager de ses peines. Tant de fois répétée, sa belle prose, comme de beaux vers, se gravait dans sa mémoire ; il la récitait à ses amis, il les engageait à la lire eux-mêmes à haute voix en sa présence ; alors il l’écoutait en juge sévère, et il la travaillait sans relâche, voulant s’élever à la perfection que l’écrivain impatient ne pourra jamais atteindre. »

Ceux qui ont connu particulièrement M. de Buffon ne manqueront pas de trouver que son panégyriste lui fait bien gratuitement les honneurs d’un sentiment de modestie qu’il n’était pas même en lui de feindre, lorsqu’en parlant de ce cabinet du roi enrichi par ses soins, par ses travaux et par sa gloire, il dit :

« Tout est plein de lui dans ce temple où il assista, pour ainsi dire, à son apothéose ; à l’entrée sa statue[6], que lui seul fut étonné d’y voir, atteste la vénération de sa patrie, qui, tant de fois injuste envers ses grands hommes, ne laissa pour la gloire de M. de Buffon rien à faire à la postérité. »

On a fort applaudi l’hommage rendu par M. Vicq d’Azyr aux personnes respectables[7] dont M. de Buffon s’était environné dans les dernières années de sa vie ; « à l’excellente amie qui a été témoin de ses derniers efforts, qui a reçu ses derniers adieux, qui a recueilli ses dernières pensées ; à l’illustre ami de ce grand homme, à cet administrateur qui, tantôt dans la retraite, éclaire les peuples par ses ouvrages, et, tantôt dans l’activité du ministère, les assure par sa présence et les conduit par sa sagesse… Des sentiments communs d’admiration, d’estime et d’amitié rapprochaient ces trois âmes sublimes… Avec quelle joie M. de Buffon aurait vu cet ami, ce grand ministre, rendu par le meilleur des rois aux vœux de tous, au moment où les représentants du plus généreux des peuples vont traiter la grande affaire du salut de l’État !… »

C’est M. de Saint-Lambert qui, en qualité de directeur de l’Académie, a été chargé de répondre au discours de M. Vicq d’Azyr. Quoiqu’il n’y ait pas dans le dernier de ces discours beaucoup plus de mouvement et d’éloquence que dans l’autre, on y a remarqué deux ou trois morceaux dont l’expression et la pensée ont paru également heureuses et frappantes.

En parlant du progrès qu’ont fait de nos jours les hautes sciences, des rapports communs qui les lient entre elles et toutes ensemble avec les arts et les talents de l’imagination, il termine le tableau par cette belle image : « L’empire de la science n’est plus un vaste désert où l’on trouvait quelques sentiers pénibles marqués par les pas des géants ; c’est un pays cultivé, semé de toutes parts de routes faciles qui conduisent de l’une à l’autre, et que les habitants peuvent parcourir sans fatigue. »

Dans l’éloge qu’il fait de la manière d’écrire de M. de Buffon, il s’exprime ainsi : « Ce sont toujours de grandes choses exposées avec simplicité : tous les détails sont grands, l’ensemble est sublime. L’envie a voulu y voir de la parure, il n’y a que de la beauté. » Il appelle le jardin du roi et le cabinet d’histoire naturelle une bibliothèque immense qui nous instruit toujours et ne peut jamais nous tromper. Aristote, ajoute-t-il, et c’est le dernier trait de la réponse académique, « Aristote, pour rassembler sous ses yeux les productions de la nature, avait eu besoin qu’Alexandre fît la conquête de l’Asie ; pour rassembler un plus grand nombre des mêmes productions, que fallait-il à M. de Buffon ? Sa gloire. »

La séance a été terminée par la lecture qu’a faite M. l’abbé Delille de deux morceaux d’un poëme sur l’Imagination. Le sujet du premier est le choix des monuments qu’il faudrait ériger à ceux dont on chérit ou dont on respecte la mémoire ; on y a trouvé de superbes tableaux mêlés à des idées infiniment touchantes ; on y a fort applaudi quelques vers vraiment admirables sur les tombeaux de ces rois fainéants qui n’ont fait que changer de sommeil, jetés par le sort du néant de la vie au néant de la mort, etc. Dans le second morceau, le poëte, en célébrant les charmes de l’espérance, fait une description très-piquante de la manière dont le fameux Mesmer savait enivrer de cette douce illusion la foule de ses malades ; il compare le banquet magnétique à la boîte de Pandore : Tous les maux n’en sortaient pas, dit-il, mais l’espoir restait au fond. Parmi les prodiges opérés par ce célèbre thaumaturge, un des plus remarquables est celui-ci :


Le vieillard décrépit, se redressant un peu,
D’un retour de santé menaçait son neveu, etc.


ÉPIGRAMME
SUR M. NICOLAÏ, PREMIER PRÉSIDENT
DE LA CHAMBRE DES COMPTES, QUI VIENT D’ÊTRE ÉLU
PAR L’ACADÉMIE FRANÇAISE
À LA PLACE DE M. LE MARQUIS DE CHASTELLUX.

Au cercle académique, en dépit des méchants,
Au Avec éclat je suis sûr de paraître :
À mes ordres toujours j’ai douze présidents,
Au Pour m’enseigner au moins quarante maîtres,
Au Pour m’imprimer soixante correcteurs,
Au Pour m’applaudir quatre-vingts auditeurs.

L’Entrevue, comédie en un acte et en vers, par M. Vigée, secrétaire du cabinet de Madame (l’auteur de la Fausse Coquette, de la Belle-Mère, etc.), a été représentée pour la première fois par les Comédiens français, le samedi 6 décembre. Le sujet de cette petite pièce est tiré d’un conte de M. Imbert, et ce conte n’est qu’une assez faible imitation d’une scène arrivée à feu M. de Voyer avec sa femme.

— Un des écrits qui méritent le plus d’être distingués dans la foule des ouvrages que fait éclore chaque jour la fermentation actuelle des esprits est le Mémoire pour le peuple français, de M. Cérutti. On en a fait deux éditions en moins de quinze jours. À la tête de la seconde se trouve un Discours adressé à la mémoire auguste de feu monseigneur le Dauphin, père du roi. Ce discours, où l’auteur examine les principes exposés dans le Mémoire des princes, nous a paru un chef-d’œuvre de raison et de sensibilité.

« Quel est, dit-il, l’intérêt du tiers état ? Le bien de la nation. Le peuple est le seul corps qui ne vive pas d’abus et qui en meure quelquefois. Voilà toute la cause populaire renfermée en un seul principe… Des grands que le peuple honore viennent de l’accuser devant le trône de vouloir renverser la monarchie par ses téméraires demandes ; et que demande-t-il ? ce que la noblesse, ce que le clergé, ce que la magistrature avaient demandé avant lui, et semblaient demander pour lui, la liberté publique et la réforme nationale.

« On dit que le peuple conspire de tout côté contre la noblesse, le clergé, la magistrature. Voici la conspiration : exclu des emplois brillants de l’armée, il ne lui est permis que d’y mourir ; exclu des hautes dignités de l’Église, il ne lui est permis que d’y travailler ; exclu des places importantes des tribunaux, il ne lui est permis que d’y solliciter ; exclu du partage égal de l’autorité législative dans les états généraux, il ne lui sera permis que d’y payer à genoux : voici la conspiration du tiers-état ; voici celle des deux premiers ordres. Le roi les a rassemblés deux fois autour de lui pour les consulter sur les intérêts du trône et de la nation : qu’ont fait les notables en 1787 ? ils ont défendu leurs privilèges contre le trône ; qu’ont fait les notables en 1788 ? ils ont défendu leurs privilèges contre la nation. Le trône n’a donc d’ami que la nation, et la nation d’ami que le trône.

« On soutient que la noblesse a placé la couronne sur le front de Hugues Capet. La nation était bien plus disposée alors à démembrer le trône qu’à le donner… On soutient encore que la noblesse seule a rétabli le sceptre dans les mains de Charles VII ; mais Jeanne d’Arc, qui opéra cette révolution inattendue, l’armée qui combattit sous cette héroïne, les villes, les hameaux qui se soulevèrent contre l’usurpateur étranger, étaient-ils la noblesse ? Mais la noblesse, qui avait appelé les Anglais, le duc de Bourgogne, qui avait fomenté les partis, l’évêque de Beauvais, qui précipita sur un bûcher infâme la libératrice de Charles VII et du royaume, étaient-ils le peuple ? etc.

« Ils disent que la noblesse se croirait dégradée si elle paraissait en équilibre avec le tiers état. Quoi ! cinq à six cent mille hommes se croiraient dégradés de paraître en équilibre avec vingt-quatre millions d’hommes !… La France, qui pendant deux cents ans avait adopté le même équilibre, avait donc dégradé ses nobles pendant deux cents ans ?… Les enseignes romaines, sur lesquelles le monde entier lisait ces mots : Senatus populusque Romanus, dégradaient donc le sénat romain aux yeux du monde entier ?… La philosophie, qui rapproche les humains, dégrade donc les humains ? La religion, qui leur ordonne de fraterniser, ordonne donc qu’ils se dégradent ? Et vous-même, prince religieux et philosophe, quand vous prononciez l’éloge du tiers état, vous prononciez donc la dégradation des deux premiers ordres ? Votre ombre généreuse et sensible s’indigne et s’afflige d’une pareille expression… Elle s’indigne et s’afflige de voir qu’au moment du danger public, au moment de réunir tous les secours, au moment d’accueillir toutes les lumières, ceux qui en ont les obscurcissent, sèment les terreurs au lieu de clartés, portent les divisions au lieu de secours, accélèrent le danger au lieu de le suspendre, menacent d’une scission formidable les esprits qu’ils pouvaient calmer… Ombre auguste et tutélaire, c’est à vous seule qu’il appartiendrait de dire au monarque héritier de vos sentiments : « Vous avez promis de faire le bonheur de vingt-six millions d’hommes, et cinq à six cent mille exigent de vous le sacrifice ce tous les autres ! c’est comme s’ils vous demandaient d’abdiquer votre empire, car les nobles composent votre empire et le tiers état votre puissance, etc. »

— Il y a eu près de mille pétitions des différentes municipalités et corporations du royaume, pour obtenir du roi une représentation plus égale à la prochaine assemblée des états généraux qu’à ceux de 1614. Celle des habitants de Paris a été rédigée par un docteur en médecine, M. Guillotin ; on en avait envoyé un exemplaire à tous les notaires de Paris, avec une lettre qui les invitait à recevoir la signature de tous les bourgeois qui jugeraient à propos de la déposer entre leurs mains. Le Parlement, ayant désapprouvé la forme de cette réclamation, a mandé les syndics des notaires et le docteur Guillotin, pour rendre compte à la cour de leur conduite ; elle était si simple qu’ils n’ont pas eu beaucoup de peine à la justifier. La cour a cependant ordonné que lesdites pétitions fussent apportées au greffe, et défendu de répandre à l’avenir de semblables lettres et avertissements. « Le Parlement est bien mal, disaient ce jour-là nos faiseurs de calembours. — Comment ? — On doit le présumer, puisqu’il vient de faire appeler le notaire et le médecin. »

Un gentilhomme des états du Dauphiné disait, pour soutenir la primatie de sa noblesse : « Songez à tout le sang que la noblesse a versé dans les batailles. » Un homme du tiers état lui répondit : « et le sang du peuple versé en même temps était-il de l’eau ? »

M. l’abbé de Mably croyait que le système anglais ne durerait pas dix ans, et que le sénat de la Suède serait à jamais durable. L’ouvrage dans lequel il faisait cette belle prophétie n’était pas encore achevé d’être imprimé que le sénat de la Suède n’existait plus. On l’en avertit ; il répondit : « Le roi de Suède peut changer son pays, mais non mon livre. »

Ces trois anecdotes sont tirées des notes du Mémoire pour le peuple français.

Voyage du jeune Anacharsis en Grèce, dans le milieu du quatrième siècle avant l’ère vulgaire, par M. l’abbé Barthélemy. Quatre volumes in-4o, et sept volumes in-8o. Ce grand ouvrage, commencé en 1757, vient enfin d’être publié, et ne paraît pas indigne de la haute attente qu’on en avait conçue. Ce n’est ni un poëme, ni un roman : l’érudition semble y tenir l’imagination par la lisière, mais il est difficile de rassembler dans un cadre plus intéressant tout ce l’on sait et tout ce que l’on a pu deviner sur l’histoire, les mœurs, les usages et les arts de la Grèce.

Œuvres complètes de Gilbert. Un petit volume in-8o. Ce petit recueil fera regretter sans doute que l’auteur, né avec un vrai talent pour la poésie, soit mort si jeune, si malheureux, et qu’il n’ait pas fait un meilleur emploi des dons qu’il avait reçus de la nature. Dans quelques-unes de ses odes on trouve de superbes images ; dans ses satires, plusieurs traits dignes de Juvénal ; en général, une excellente facture de vers, des expressions hardies, énergiques, quelquefois forcées, mais souvent très-heureuses.

— Nous nous sommes trouvés forcés de renvoyer à l’ordinaire prochain l’analyse de Démophon, tragédie lyrique en trois actes de M. Marmontel, représentée pour la première fois sur le théâtre de l’Opéra, le vendredi 5 décembre. La musique est d’un jeune Italien, M. Cherubini. Quoique cet ouvrage ait déjà eu quelques représentations, le succès en paraît encore assez indécis.

  1. Nous avons ouï dire que le roi de Suède avait fait le même honneur à cet ouvrage. (Meister.) — Les lettres de Catherine à Grimm et de celui-ci à l’impératrice, publiées par M. J. Grot (1878-1880, 2 vol.  in-8), ne nous fournissent pas la date de cette représentation ; mais on voit par une lettre de Grimm (6/17 juin 1781) que Sedaine avait adressé à Catherine le manuscrit de Paris sauvé, orné de dessins dont il ne nomme point l’auteur et accompagné d’une épître dédicatoire.
  2. Cette feuille, publiée par M. Monsodive, fut distribuée clandestinement en 1787-88. Tous les arguments des défenseurs de la noblesse y sont habilement réfutés ; Volney était au nombre des collaborateurs. (Ch.) — Elle eut cinq numéros et un grand nombre d’imitations dont on trouvera la liste dans la Bibliographie de M. Hatin, p. 92.
  3. Courrier lyrique ou Passe-temps des toilettes, 1785-1788, 4 vol.  in-8o.
  4. Par Saint-Foix ; voir tome III, p. 41.
  5. Voir tome VI, p. 255 et 506.
  6. Qui n’a pas lu avec quelque surprise l’inscription fastueuse que M. de Buffon avait laissé graver en lettres d’or sur le piédestal de cette belle statue : Naturæ par ingenium ! (Meister.)
  7. M. et Mme Necker.