Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/81

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 485-486).
◄  LXXX.
LXXXII.  ►

LXXXI

2 novembre 1750.

Depuis la dernière lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire, il n’a paru ni bon ni mauvais livre. La saison des nouveautés approche, et j’espère que dans quinze jours notre littérature fournira quelque chose d’intéressant.

— Un nommé Picot vient de faire la découverte la plus singulière dont on avait ouï parler depuis longtemps. Il a trouvé le secret d’enlever, de dessus le bois, la toile et le plâtre, les peintures qui dépérissent et que l’on veut conserver. Il les remet sur toile sans les déranger ni les gâter. Il en a fait déjà plusieurs expériences qui ont parfaitement réussi, entre autres sur un plafond peint sur plâtre, au château de Choisy, par feu M. Coypel, premier peintre du roi, et sur un grand tableau d’André del Sarte, qui était peint sur bois[1]. On lui a confié plusieurs tableaux du roi qui ont besoin d’une pareille réparation.

— Le roi de France, qui est le souverain de l’Europe le plus riche en tableaux de toutes les écoles, vient d’en faire transporter une partie dans les galeries du Luxembourg. Ces chefs-d’œuvre, qui dépérissaient dans un garde-meuble, sont devenus une excellente école pour nos artistes et un amusement très-utile pour le public. Les galeries sont ouvertes deux fois la semaine.

— Il vient de paraître une jolie estampe gravée au premier coup et à l’eau-forte, dans le goût de ce que les Italiens appellent caricatura, que nous avons traduit par le mot de charge. Elle représente un aveugle des Quinze-vingts conduit par son chien en laisse. Il est debout devant un tableau qui est sur un chevalet ; il tient d’une main une plume, et de l’autre un papier sur lequel est écrit : Lettres sur les tableaux du Salon[2]. Cette ingénieuse estampe nous a paru la meilleure réponse qu’on pût faire aux mauvaises critiques qui ont paru depuis quelque temps sur cette matière.

MM. d’Illens et Franck, étrangers au service de la France, viennent de publier un volume in-4o intitulé Plans et Journaux des sièges de la dernière guerre de Flandre[3]. L’historique de cet ouvrage est peu de chose ; ce n’est guère qu’une compilation de gazettes ; mais les plans méritent la plus grande attention. Les militaires les trouvent exacts, et les graveurs élégants.

  1. Picot exposa au Salon de 1746 le rentoilage de la fresque d’Antoine Coypel.
  2. Cette planche fort rare, attribuée soit à Watelet soit à un artiste inconnu nommé Porcien, a été considérée, sur la foi de Fréron, comme relative au Salon de 1753 et dirigée contre La Font de Saint-Yenne. MM. de Montaiglon et J.-J. Guiffrey l’ont mentionnée dans leurs bibliographies du Salon de cette année, et le Magasin pittoresque, en la reproduisant (t. XVIII, p. 33), lui a assigné la même date. Elle a été gravée, comme on le voit, dès 1750, et n’a peut-être pas le caractère de personnalité que M. Thomas Arnauldet (v. Gazette des Beaux-Arts, t. IV, p. 45 et suivantes) y relève et qu’il rapproche des jolies vignettes satiriques dont Cochin a orné ses Misotechnites aux enfers, où La Font de Saint-Yenne est pris à partie sous le nom d’Ardélion.
  3. Strasbourg, 1750, in-4.