Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/80

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 481-485).
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LXXX

19 octobre 1750.
CONSEILS À UNE JEUNE PERSONNE
PAR M. PESSELIER,

sur l’air de
la Musette de rochard.

Vous avez les appas
De l’aimable jeunesse ;

L’esprit et la finesse
Ne vous quitteront pas.
De la droite raison
Suivez toujours les traces
Et vous aurez des grâces
Dans l’arrière-saison.

Voyez dans ce ardin,
Ce que c’est qu’une rose.
De ce matin éclose,
Elle périt soudain.
Ainsi de la beauté
Passe la gloire vaine ;
Ce n’était pas la peine
D’avoir tant de fierté.

Prenez vos agréments
Chez la simple nature ;
On n’a de l’imposture
Que de faux ornements.
Est-il un bien constant,
Fondé sur l’artifice ?
C’est un frêle édifice
Qui s’écroule à l’instant.

Que l’esprit cultivé
Soit toujours agréable.
Le savoir sociable
Est le seul approuvé.
De riantes couleurs,
La raison doit se peindre,
Et souvent gagne à feindre,
De n’offrir que des fleurs.

Des rossignols charmants
Redoutez le ramage ;
Leur chanson est l’image
De celle des amants.
Pour s’en ressouvenir
On se plaît à l’entendre ;
Quand on goûte un air tendre,
On peut le devenir.

Mais aussi n’allez pas
Suivre, dans le silence,
Une grande indolence
Qui ressemble au trépas.

Dans l’art du vrai plaisir
Le cœur seul est le maître.
Mais pour le faire naître
Il faut le ressentir.

Comme le papillon
Qui séduit et s’envole,
La coquette frivole
Se livre au tourbillon.
Le titre ou la splendeur
Des belles qu’on encense
Ne vaut pas la décence
D’une aimable pudeur.

Voyez avec pitié
La volage hirondelle ;
Soyez toujours fidèle
Aux lois de l’amitié.
Il ne faut s’engager
Que sous le meilleur gage ;
Mais, dès que l’on s’engage,
Il ne faut plus changer.

Dans le moindre entretien,
À beaucoup de justesse
Joignez la politesse
De qui ne saurait rien.
Ayez le ton flatteur
De la délicatesse,
Et non la politesse
Du faux adulateur.


VERS ÉCRITS SUR UN EXEMPLAIRE DE RACINE.

Racine, je te dois tout ce que j’ai d’esprit,
De sentiment, de goût, de style, d’élégance,
Et si je sais aimer, ton livre me l’apprit :
Mais mon Iris, hélas ! mon Iris me trahit ;
Tu ne m’as point appris à fixer sa constance.

En passant dans ses mains, en occupant ses yeux,
Rappelle-lui du moins ce que je suis pour elle.
Dans tes plus tendres vers, retrace-lui mes feux ;
Fais-la gémir du sort des amants malheureux,
Et rougir au portrait d’une amante infidèle.

— Les comédiens italiens ont donné, le 22 de septembre, la première représentation des Fausses Inconstances, petite comédie en un acte et en prose de M. de Moissy, auteur du Provincial à Paris.

L’intrigue est fondée sur un double travestissement, pivot un peu trop usé qui lui donne un grand air de ressemblance avec plusieurs autres pièces, et singulièrement avec la Fête d’Auteuil. Clorinde, amoureuse d’Éraste, se déguise en cavalier pour le suivre et l’épier dans une campagne, où elle rend des soins à Clarisse qu’elle croit sa rivale. Elle est accompagnée d’une nouvelle femme de chambre qui s’est aussi travestie en homme. Ce dernier déguisement donne occasion à deux méprises qui font tout le jeu et tout le plaisant de la pièce. Cette suivante est mariée avec Arlequin, qui l’a quittée depuis deux ans et qui la reconnaît dans cette campagne où il a suivi

Éraste, son maître. Comme il prend Clorinde pour un jeune homme, il croit sa femme infidèle, et, la rencontrant à l’écart en tête-à-tête, il lui témoigne sa rancune en mari des plus roturiers et vient après s’en applaudir en plein théâtre en disant qu’il brûle d’en faire autant au freluquet qui le déshonore. Ce faux cavalier, qui l’entend, le saisit au collet et, tirant l’épée, le menace de le tuer. Arlequin, effrayé, implore la bonté de sa femme, qui survient ; mais Clorinde ne lui accorde la vie qu’à la condition que sa soubrette lui rendra tous les coups qu’elle a reçus. Arlequin lui-même l’en prie, et lui présente sa batte. Elle feint de la prendre malgré elle, et le bâtonne par obéissance. Éraste, de son côté, abusé par le travestissement de la suivante, la croit son rival, et joue par dépit l’amant près de Clarisse, ce qui donne lieu à une double jalousie entre lui et Clorinde. Un éclaircissement qu’il a avec elle le détrompe et lui apprend que le faux rival est une femme de chambre ; il se justifie aux yeux de sa maîtresse. L’hymen est le sceau de leur raccommodement, et son valet Arlequin renoue avec sa moitié.

Cette pièce, qui réussit assez bien et dans laquelle il y a quelques scènes véritablement comiques, est suivie d’un divertissement qui ne la dépare pas. Il est d’autant plus agréable qu’il est très-court. M. Balletti, revenu d’Italie, y danse avec la demoiselle Camille un pas où il déploie beaucoup de force, de grâce et de légèreté.

M. l’abbé de Marigny, qui est un assez mauvais écrivain, vient de nous donner une Histoire des Arabes en quatre volumes in-12. Je ne l’ai pas lue avec assez d’attention pour voir si l’auteur a fait de profondes et d’exactes recherches. L’ouvrage en général m’a ennuyé. J’y ai trouvé peu d’intérêt pour le fond, peu d’art dans la narration, peu d’agrément dans le style. C’est cependant le seul ouvrage un peu exact que nous ayons sur cette matière, et il n’est pas tout à fait à dédaigner.

— Mon adresse actuelle est : À l’abbé Raynal, rue Saint-Honoré, vis-à-vis la rue de la Sourdière.