Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/65

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 396-405).
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Riccoboni fils, acteur du Théâtre-Italien, sans figure, sans voix, sans grâce, sans physionomie, et qui ne devient supportable que par l’esprit et l’intelligence qu’il met dans son jeu, vient de publier un ouvrage intitulé l’Art du théâtre[1]. Cet écrivain place un acteur tragique et comique dans toutes les situations où il peut se trouver, et il lui enseigne tout ce qu’il doit faire pour bien jouer son rôle. Il lui forme le geste, la voix, la déclamation, lui apprend à avoir de la grâce, de la dignité, de la noblesse, l’élève au ton des passions, du sentiment, de la plaisanterie. Quelques traits choisis de ce livre vous le feront mieux connaître.

L’auteur définit l’intelligence du comédien le talent qu’il a de concevoir à chaque instant le rapport que peut avoir ce qu’il dit avec le caractère de son rôle, avec la situation où le met la scène, et avec l’effet que cela doit produire dans l’action totale. Par exemple, l’on a dans une scène à dire bonjour ; ce mot est bien simple, et tout le monde entend cela ; mais ce n’est pas assez d’entendre que c’est une politesse qui se fait aux gens qui arrivent ou que l’on aborde. Il est mille façons de dire bonjour suivant le caractère et la situation. Un amant dit bonjour à sa maîtresse avec cette douceur et cette affection qui fait connaître ses sentiments pour celle qu’il salue ; un père le dit avec tendresse au fils qu’il aime et avec une froideur mêlée de chagrin à celui dont il est mécontent. Un avare même, en disant bonjour à son ami, doit se montrer occupé d’inquiétude. Le jaloux marque une colère que la bienséance empêche d’éclater en saluant un jeune homme qu’il est forcé de recevoir contre son gré. Une suivante dit bonjour d’un ton flatteur et insinuant à l’amant aimé de sa maîtresse, et d’un ton brusque au vieillard qui cherche à l’obtenir sans son aveu. Le petit-maître salue avec une politesse affectée et mêlée d’un ton d’orgueil qui démontre que, s’il veut bien vous saluer, c’est par bonté et qu’à la rigueur il n’y serait pas obligé. L’homme dans la tristesse dit bonjour d’un air affligé. Un fourbe salue celui qu’il va duper d’un ton qui doit inspirer la confiance à l’objet de sa trahison et où le spectateur doit apercevoir qu’il médite une fourberie. Dans le chapitre de l’expression, l’auteur a une idée neuve qui me paraît belle et vraie. On croit communément que, pour qu’un acteur exprime avec force les sentiments de son rôle, il faut qu’il en soit affecté. Riccoboni prétend, au contraire, que si on a le malheur de ressentir véritablement ce que l’on doit exprimer, on est hors d’état de jouer. Les sentiments se succèdent dans une scène avec une rapidité qui n’est point dans la nature. La courte durée d’une pièce oblige à cette précipitation qui, en rapprochant les objets, donne à l’action théâtrale toute la chaleur qui lui est nécessaire. Si, dans un endroit d’attendrissement, vous vous laissez emporter au sentiment de votre rôle, votre cœur se trouvera tout à coup serré, votre voix s’étouffera presque entièrement ; si vous devez alors passer subitement à la plus grande colère, cela vous sera-t-il possible ? Non, sans doute.

Dans le chapitre des caractères, Riccoboni dit que le caractère influe si fort sur toute la personne, qu’il donne à celui qui en est dominé une physionomie particulière, une contenance qui lui est propre, un geste dont la façon de penser a formé chez lui l’habitude, une voix surtout dont le ton ne saurait convenir à un caractère différent. La timidité donne une voix faible et entrecoupée, la fatuité a le ton dominant et d’une assurance choquante, l’homme grossier a la voix pleine et l’articulation lourde, l’avare qui passe la nuit à compter son or doit avoir la voix rauque.

L’idée que je me suis formée de ce livre après une lecture réfléchie, c’est que c’est une ébauche plutôt qu’un traité complet ; qu’il y a plus de pratique que de théorie ; qu’il peut être utile aux personnes qui veulent jouer la comédie, mais qu’il ne suffit pas ; que l’auteur a le coup d’œil plus sûr qu’étendu ; que le style ne manque pas seulement d’agrément, mais de clarté, de correction, de force. Le ton didactique qui règne dans cet ouvrage en fait un livre de pure instruction. Le même sujet a été manié il y a environ deux ans par M. Rémond de Sainte-Albine[2]. Ce premier traité n’était pas d’un écrivain qui eût bien de l’étendue dans l’esprit, mais il était fait et écrit avec beaucoup de soin. Il est ce que nous appelons un livre bien fait.

M. de Burigny, qui nous avait déjà donné quelques ouvrages, vient de publier en trois volumes in-12 l’Histoire des révolutions de l’empire de Constantinople, depuis la fondation de cette ville jusqu’en l’an 1453 que les Turcs s’en rendirent maîtres[3]. On peut compter sur les recherches de cet écrivain, homme instruit, exact, laborieux, mais il n’est que cela. Sa narration manque de chaleur, d’agrément, d’intérêt ; ses tableaux sont sans couleur et sans force ; il ignore absolument l’art, si nécessaire à l’histoire, des transitions et des liaisons. Son style, qui est assez correct, n’est jamais léger, vif ni brillant ; ses héros se ressemblent tous et paraissent jetés au même moule. Cet ouvrage n’est pas proprement une histoire ; ce sont des matériaux rassemblés avec sagacité et avec soin pour qui voudrait les mettre en œuvre.

J’ai oui dire un mot de M. de Burigny qui me paraît agréable. On raillait dans un cercle un homme extrêmement jaloux, et on lui demandait s’il aimerait mieux être cocu que pendu : « Pendu, répondit-il sur-le-champ et avec vivacité. — Monsieur, lui dit Burigny, madame ne le souffrirait pas. »

— On a représenté, le lundi 12 de ce mois, Oreste, tragédie nouvelle de M. de Voltaire, qui devait être intitulée Électre. Aristote dit dans sa poétique que ce sujet, ainsi que celui d’Œdipe et de Mérope, ne peut manquer de réussir sur la scène, quand même il serait traité par un poëte médiocre. En effet, le caractère d’Électre doit faire impression dans tous les temps, puisqu’il a toutes les qualités qu’on peut désirer dans le héros d’une tragédie. Ses projets de vengeance inspirent la terreur, et son sort déplorable excite la pitié la plus tendre. Chez les Grecs, Sophocle, leur plus fameux tragique, a admirablement traité ce sujet suivant les mœurs d’Athènes. Euripide et Eschyle y ont également réussi. En France, M. de Longepierre et M. Crébillon ont aussi fait une Électre. Le premier eut un grand succès à la cour, et tomba à la ville. On fut assez content du plan et de la conduite de sa pièce, mais elle est si misérablement écrite qu’on ne put l’entendre que quatre ou cinq fois. Il est vrai qu’il y eut un intervalle de douze ans entre la représentation de la cour et de la ville, et que, pendant cet intervalle, M. Crébillon donna sa tragédie, qui fut applaudie avec justice. Il y a surtout beaucoup de force et de chaleur, et elle se soutient au théâtre avec beaucoup de réputation depuis quarante ans, ce qui rend l’entreprise de M. de Voltaire également hardie et difficile.

Son premier acte a été bien reçu, le second a excité de grands applaudissements, le troisième a été jugé froid et languissant, la fin du quatrième a réchauffé le spectateur, et le cinquième a été trouvé détestable ; mais, en convenant que cet acte n’est pas digne de l’auteur, on ne peut s’empêcher de dire que le public a marqué de l’humeur en refusant de l’entendre tout entier, ce qui a déterminé M. de Voltaire à retirer sa pièce pour y faire des changements qui ont paru huit jours après. Le public y est venu en foule, et a fort applaudi ; ce qui fait dire aux mécontents, qui ne sont pas en petit nombre, qu’il n’y avait à la seconde représentation que le parterre de changé. Les amis de M. de Voltaire louent beaucoup son ouvrage, les amis de M. Crébillon outrent la critique, ce qui arrivera toujours lorsqu’un auteur d’une grande réputation remettra au théâtre un sujet connu et dans lequel un tragique illustre a fait verser tant de larmes. On commence par juger le procédé avant de juger la tragédie, les premières impressions restent et, quand on refait, il faut faire mieux. Quoi qu’il en soit, voici de quelle manière M. de Voltaire a employé le sujet d’Électre.

Égiste, amant de Clytemnestre, ayant, de concert avec cette reine perfide, lâchement assassiné Agamemnon, devient possesseur du trône et de la femme de ce prince infortuné. Égiste, qui a d’un premier mariage un fils nommé Plisthène, veut lui assurer la couronne par la mort d’Oreste, fils unique d’Agamemnon. Électre, sa sœur, qui prévoit le nouveau crime de l’usurpateur, fait enlever de la cour Oreste qui est encore dans l’enfance ; elle le recommande aux dieux et à un sage gouverneur chargé de le conduire en des climats plus heureux et de lui inspirer des sentiments dignes de sa naissance. Égiste ne fait point mourir Électre, tant parce qu’il craint les nouveaux murmures du peuple que parce qu’il la destine secrètement en mariage à son fils qu’il fait adopter par Clytemnestre ; et, en attendant, il retient Électre dans les fers, craignant qu’elle ne réveille par ses plaintes et par ses cris le courage des sujets et des amis d’Agamemnon. Électre a une sœur cadette nommée Iphise, qui est encore fort jeune et pleine de douceur. Le tyran, qui connaît son caractère, permet qu’elle reste à sa cour. Pammène, vieillard plein de probité et ancien serviteur d’Agamemnon, s’attendrit avec Iphise sur son sort et sur celui d’Électre, et c’est ici où commence l’action. Iphise, qui ignore la part que Clytemnestre a eue au meurtre d’Agamemnon, conseille à sa sœur, qui survient, d’adoucir son caractère, de se plier à son état et d’engager Clytemnestre par sa soumission à changer son sort. Électre, qui ne respire que la vengeance, rejette avec indignation le conseil de sa sœur ; elle lui apprend tous les crimes de Clytemnestre, et lui fait une peinture effrayante de l’assassinat d’Agamemnon achevé de sa main. Elle en prend à témoin Pammène, qui ne confirme que trop son récit. Clytemnestre, qui commence à sentir des remords, agitée d’ailleurs par un songe terrible, vient chercher quelque consolation dans la compagnie de ses filles. Iphise se prosterne et la supplie de retirer sa sœur de l’esclavage indigne où elle est réduite. Électre, loin de seconder Iphise, fait les reproches les plus vifs à sa mère, se répand en imprécations contre l’usurpateur et invoque le retour d’Oreste, son frère, son roi, ce héros qui doit venger Agamemnon. Clytemnestre veut en vain ébranler sa fermeté, Électre en devient plus furieuse. Clytemnestre, piquée, congédie ses filles en leur disant :

Vous pleurez dans les fers, et moi dans ma grandeur,
Laissez-moi respirer…

Clytemnestre ne trouve pas plus de consolation avec Égiste, qui vient la presser d’assister à la fête qu’il prépare pour célébrer l’anniversaire de son couronnement ; il la prie de revoir Électre, de lui annoncer son mariage avec Plisthène. Il croit que l’espoir de la couronne l’adoucira et se félicite des espérances que lui donne le roi d’Épidaure, son allié, sur la prochaine mort d’Oreste, qui est enveloppé dans ses États de façon qu’il ne pourra échapper à sa destinée. Clytemnestre gémit à cette nouvelle. Égiste lui en fait des reproches et lui demande ce qui la rend si craintive, elle qui était si ferme à la mort d’Agamemnon. Clytemnestre lui répond par ce beau vers :

L’amour brave les dieux, la crainte les consulte.

Cependant Oreste, et Pylade, son ami, trouvent le moyen d’échapper aux poursuites du roi d’Épidaure en s’embarquant sur un vaisseau dans lequel ils essuient une tempête horrible qui les jette sur le rivage de Mycènes ; ils ne savent quelle terre ils habitent, ils déplorent leur malheureuse destinée, lorsque Pammène se présente à eux et leur apprend qu’il est sous la domination d’Égiste. Oreste frémit à ce nom odieux, mais ne se découvre point ; il dit seulement qu’il est Grec, et demande un asile au vieillard, qui le lui accorde généreusement. Clytemnestre, conformément aux volontés d’Égiste, vient annoncer un sort plus favorable à Électre, en lui promettant le trône et la main de Plisthène, Électre reçoit la proposition avec horreur ; elle s’informe d’Oreste avec transport. Clytemnestre ne lui répond point. Cette malheureuse sœur le croit mort et en devient plus furieuse. Clytemnestre, qui la trouve inflexible, l’abandonne à son mauvais sort, et lui prédit s’il se peut des malheurs encore plus grands. Iphise arrive sur-le-champ d’un air triomphant pour annoncer à Électre l’arrivée d’Oreste. C’est ici le plus bel endroit de la pièce. « Je viens, dit Iphise, du tombeau de mon père ; j’y ai vu une épée, signal de la vengeance, et toutes les marques d’un vrai respect ; et quel autre qu’un fils viendrait payer un tribut si légitime et s’exposer à un péril si manifeste ! » Elle ajoute qu’Oreste est sans doute un des étrangers réfugiés chez Pammène. Électre, qui saisit d’abord cette nouvelle avec avidité, ne peut contenir sa joie, mais elle retombe bientôt dans sa tristesse ordinaire en réfléchissant à la proposition de sa mère qui n’est qu’un signe trop certain de la mort d’Oreste. Les deux sœurs se retirent avec une égale désolation, ce qui termine le second acte.

Égiste soupçonneux par le crime éclairé,


(c’est un vers de la tragédie) envoie chercher Pammène, l’interroge sur l’état et la naissance des deux étrangers. Pammène répond :

« Je connais leurs malheurs et non pas leur naissance ;


je sais seulement qu’ils sont Grecs. » Égiste ordonne qu’on les lui amène. Pammène obéit. Oreste, qui a tué en Epidaure Plisthène, fils du tyran, a eu soin de recueillir dans une urne les cendres de son ennemi ; il imagine d’en faire un usage singulier, c’est de les présenter au tyran comme les cendres du fils d’Agamemnon. Électre vient pour voir les étrangers. Oreste la reconnaît à ses malheurs, et veut se découvrir. Pylade l’en empêche et le fait ressouvenir de l’oracle qui lui défend de parler à Électre avant le temps prescrit. Les étrangers, au lieu de la consoler lorsqu’elle demande des nouvelles d’Oreste, qu’elle appelle à tout moment, lui confirment sa mort par leur silence et en lui montrant l’urne en question. Électre embrasse l’urne et l’arrose de ses larmes. Égiste arrive dans l’instant : les pleurs, les cris et la fuite d’Électre lui apprennent la mort d’Oreste ; il en est encore plus convaincu en interrogeant Oreste, qui se donne lui-même d’une façon captieuse comme son propre meurtrier. L’usurpateur, que la joie d’un si grand événement étourdit, donne pour prix d’un tel service Électre en esclavage à Oreste, et lui offre les trésors qu’Agamemnon a rapportés du siège de Troie. Oreste refuse les trésors et dit qu’Électre suffit. Égiste demande l’urne ; Oreste répond : « Elle est à vous, seigneur », ce que les uns trouvent comique et les autres admirable. Pammène, qui craint qu’Oreste ne soit découvert, vient l’avertir qu’il est dans un danger éminent ; que le roi d’Épidaure vient d’envoyer un courrier à Égiste pour lui faire part de sa fuite et de la mort de Plisthène. Oreste, Pammène et Pylade prennent les mesures nécessaires pour échapper à la vigilance du tyran et pour échauffer les fidèles sujets d’Agamemnon. Ils se donnent rendez-vous dans un lieu où ils arrivent par trois chemins différents. Électre, qui ne peut parvenir jusqu’à Égiste, veut du moins venger la mort de son frère en tuant son meurtrier dont elle est esclave. Oreste arrive dans l’endroit où est Électre qui veut exécuter son projet ; elle s’est saisie du poignard que son frère avait mis sur le tombeau d’Agamemnon, et c’est avec ce fer qu’elle veut trancher ses jours. Elle s’écarte, en voyant Oreste, pour le frapper à coup sûr. Oreste gémit et prononce le nom d’Agamemnon. Cela donne de l’émotion à Électre, qui dit à part :

Les remords en ces lieux ont-ils donc quelque empire ?

Ce vers de situation fait un grand effet. Électre avance et veut enfoncer le poignard dans le sein d’Oreste, mais il tombe de sa main. Oreste frémit et du dessein et du danger. Électre s’écrie sur-le-champ :

Ah ! je crois voir en vous un dieu qui m’épouvante.

Oreste ne peut plus se contenir, et c’est ce qui fait la reconnaissance, qui serait plus belle si elle était mieux filée. Électre se livre à une joie sans bornes et dit ce beau vers :

Oui, vous êtes mon maître ; Égiste est obéi.

Pylade et Pammène viennent chercher Oreste ; ils l’accusent d’imprudence et de résistance aux volontés des dieux en révélant sa naissance à Électre. « S’ils veulent se faire obéir, réplique Oreste,

Qu’ils me donnent des lois que je puisse accomplir. »

À ce moment si touchant en succède un terrible par l’arrivée du tyran qui fait arrêter Oreste, Pylade et Pammène. Électre perd presque le sentiment, Clytemnestre est effrayée, et Égiste sort en menaçant de faire périr ces trois criminels. Alors Électre se jette aux pieds de sa mère pour demander la grâce des étrangers ; elle le fait avec tant d’instance que Clytemnestre en est émue ; elle l’est surtout à ce vers :

L’un d’eux ! Si vous saviez !… tous deux sont malheureux.

Clytemnestre ne doute plus que l’un d’eux ne soit Oreste. Électre ne le peut dissimuler, et demande sa grâce ; elle offre même d’épouser Plisthène. Clytemnestre lui apprend sa mort. Juste ciel ! reprend Électre avec une joie impétueuse. Clytemnestre, après lui avoir fait de nouveaux reproches sur son inflexibilité, lui promet la grâce d’Oreste, ce qui satisfait Électre et termine le quatrième acte dont la fin est admirable. Le cinquième commence par une scène entre les deux sœurs, qui témoignent leurs inquiétudes sur le sort d’Oreste. Égiste, qui est implacable, arrive avec Clytemnestre. Iphise se prosterne aux pieds du tyran et invite Électre à en faire autant. « Quelle honte, continue-t-elle, pour les filles d’Agamemnon ! Eh bien, je la surmonte : je ne le ferais pas pour moi, mais tout doit être permis pour sauver un frère si cher. » Égiste n’en devient que plus inflexible et insulte à la douleur d’Électre qui vient de se démentir. Clytemnestre se joint à ses filles ; même refus de la part du tyran ; alors cette reine indignée lui dit : « Tu me connais ! et je vais redevenir Clytemnestre. » Un garde vient annoncer à l’usurpateur qu’Oreste est reconnu, et que sa présence est nécessaire pour empêcher qu’on ne le délivre. Égiste sort furieux en protestant qu’il va le faire périr avec ses complices. Les sœurs au désespoir ont de nouveau recours à Clytemnestre, lorsque Pylade vient annoncer sa délivrance et qu’il est reconnu roi de Mycènes. Il ajoute qu’Égiste est chargé des mêmes fers dont on avait souillé les mains d’Oreste. Clytemnestre court pour sauver son mari, en disant qu’elle veut remplir, s’il se peut, les devoirs d’épouse et de mère. Électre et Iphise veulent être témoins du triomphe d’Oreste. Elles en sont empêchées par Pammène qui fait le récit des horreurs qui se passent et de l’opiniâtreté de Clytemnestre pour sauver la vie d’Égiste. Enfin Oreste paraît, non pas comme un héros vengeur de la mort de son père, mais comme un malheureux pénétré de l’horreur du parricide qu’il vient de commettre. Il a frappé partout, et il a tué sa mère du même coup dont il s’est défait du tyran. Il plaint son sort, accuse les dieux, quitte le trône et veut partir seul pour la Tauride, où il doit expier son crime. Pylade l’accompagne malgré lui, et la pièce finit par deux beaux vers sur l’amitié.

On ne peut encore prévoir quel sera le sort de cette tragédie. Il y a des vers dignes de l’auteur de la Henriade, de Zaïre et d’Alzire. Mais il y en a de prosaïques et de chevillés. Ce sera, après son impression, aux lecteurs et au temps à décider de son véritable prix. Il y a cependant apparence qu’elle ne déplacera pas l’Électre de M. de Crébillon.

  1. L’Art du théâtre, à madame ***, suivi d’une lettre au sujet de cet ouvrage. Paris, Simon fils, 1750, in-8.
  2. Voir p. 111.
  3. Paris, 1749, in-4o ; en 1750, 3 vol.  in-12.