Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier/1/44

Texte établi par Maurice Tourneux, Garnier frères (1p. 277-280).
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XLIV

Piron, qui ne met point de bornes à la haine qu’il a jurée à Voltaire et à La Chaussée, m’envoya hier l’épigramme suivante, laquelle attaque les derniers ouvrages de ces deux poëtes dramatiques : l’École de la jeunesse et Sémiramis.

Ô temps, ô mœurs ! s’écriait La Chaussée,
Siècle pervers qui fuit sa guérison !
Quoi ! mon école est ainsi délaissée !
Quoi ! le carême est ma morte-saison.

Et cependant, contre toute raison,
Deux sots objets (ah ! c’est ce qui m’assomme !)
Deux monstres faits et bâtis. Dieu sait comme,
Deux vilains riens attirent les badauds.
Méritent‑ils seulement qu’on les nomme ?
Sémiramis et le rhinocéros !

— Voltaire ayant demandé au roi de Prusse quelques remèdes pour ses infirmités, ce prince lui a répondu :

Eh, quoi ! vous devenez crédule
Vis-à-vis de nos médecins,
Qui pour mieux dorer la pilule
N’en sont pas moins des assassins ?
Vous n’avez plus qu’un pas à faire,
Et je vois mon dévot Voltaire
Nasiller chez les capucins.

— Il y a environ trente ans que M. Crébillon donna sa tragédie de Xercès. L’indifférence du parterre pour cette pièce, qu’il trouva médiocre, et la sagesse du magistrat, qui la trouva trop libre, l’étouffèrent dans sa naissance, et elle n’eut qu’une représentation. Le public, réveillé sur cet ouvrage par l’impression qu’on vient d’en faire, a confirmé le premier arrêt, et Xercès est jugé tout d’une voix une mauvaise pièce. Il y règne un ton bas qui révolte les moins délicats. Artaban, sur qui porte toute la tragédie, est un ambitieux qui ne cache point les desseins qu’il a de monter sur le trône, et Xercès et tous les autres personnages de la pièce sont des caractères sans cœur et sans esprit ; ils ne voient rien ou ont la faiblesse de consentir à tout sans opposition. Ce genre de poésie demande plus de dignité, et il est impossible de s’intéresser beaucoup pour des acteurs de ce caractère. La versification de cette pièce est comme celle de la plupart des ouvrages de Crébillon, dure, chevillée, obscure, enflée et gothique, mais semée de traits heureux, forts et lumineux. Tout le monde a fait attention au vers suivant :

La crainte fit les dieux, et l’audace les rois.

M. Favier, connu par quelques petits ouvrages de critique,

a fait l’épigramme suivante à l’occasion de Xercès :

Arrêt que contre Crébillon
ArrêtAu billon
À rendu au sacré vallon
ArrêtApollon :
Après Catilina joué
ArrêtBafoué,
Mais après Xercès imprimé
ArrêtAssommé.

Mlle de Lussau, dont vous avez peut-être lu les Anecdotes de la cour de Philippe-Auguste et de François Ier, vient de publier les Annales galantes de la cour de François II[1]. Il est si peu question de ce règne dans ce roman, qu’on voit bien que ce titre n’a été mis là que pour imposer. Le vrai titre de cet ouvrage serait le Comte de Dreux, et c’est en effet sous ce nom que j’en ai entendu lire autrefois plusieurs morceaux à l’illustre auteur. L’amour d’un frère et d’une sœur est le sujet de ce roman. L’exposition en est assez embarrassée, l’intrigue simple et pas trop chargée d’épisodes. Le dénoûment est froid ; c’est le temps et la raison qui détachent ces deux amants l’un de l’autre. Le développement des sentiments de ces deux cœurs, qui est le plus grand pivot de cet ouvrage, me paraît fait avec beaucoup d’agrément et de finesse ; le style est élégant, naturel, mais il manque de correction et de vivacité.

— Voltaire vient de publier en cinq langues son Panègyrique de Louis XV, dont on a si longtemps ignoré l’auteur. Trois jésuites ont fait les traductions italienne, anglaise et latine ; j’ignore de qui est l’espagnole. Cet écrivain appelle ce petit ouvrage sa Polyglotte.

— Il paraît aussi un mauvais roman du chevalier de La Morlière. On ne conçoit pas comment l’auteur d’Angola a pu faire une des plus misérables productions que nous ayons vues depuis longtemps.

— On lit avec empressement l’Histoire de Louis XIV depuis la mort de Mazarin jusqu’à la paix de Nimègue, par Pellisson. Quoique cet ouvrage ait été publié si longtemps après la mort de cet écrivain, il est incontestablement de lui, et j’ai eu le manuscrit original entre les mains. Comme cette histoire a été composée dans le temps du grand éclat de Louis XIV, il est tout naturel de penser que c’est un panégyrique. Il est vrai que ce prince y est flatté, mais les personnages subalternes y sont peints avec assez de hardiesse et de sincérité. Ne vous attendez pas à trouver des personnalités dans cette histoire, mais vous y verrez l’origine et la marche de plusieurs événements assez considérables qui n’avaient pas été approfondis. Le style de cet ouvrage est celui du temps où il a été écrit ; il est long, froid et diffus, mais naturel et point épigrammatique. L’auteur de cette histoire est assez célèbre dans notre littérature pour que vous aimiez à trouver quelques particularités de sa vie et de son caractère.

Pellisson avait un frère qui, à l’âge de dix-huit ans, fut reçu dans une académie que les protestants avaient à Castres, mais à condition qu’il parlerait toujours le dernier parce que, lorsqu’il parlait avant les autres, il ne leur laissait rien de bon à dire, au lieu que, lorsqu’il parlait après eux, il trouvait toujours du bon que personne n’avait dit.

Le ministre Morus, qui avait fait un poëme latin en l’honneur de la république de Venise, en avait reçu une magnifique chaîne en or. En mourant, il la laissa par son testament à Pellisson comme au plus honnête homme qu’il eût connu.

Pellisson était sur le point d’abjurer le calvinisme, lorsque le duc de Montausier dit à Mlle de Scudéry, de la part du roi, que si Pellisson se faisait catholique il serait précepteur du Dauphin et président à mortier. Un tiers, qui avait été présent à cet entretien, le rapporta à Pellisson, qui, pour cette raison, recula son retour à l’Église.

Comme Pellisson mourut sans avoir reçu les sacrements, après avoir fait profession de piété, Linière fit l’épigramme suivante :

Je ne jugerai de ma vie
D’un homme avant qu’il soit éteint :
Pellisson est mort en impie,
Et La Fontaine comme un saint.

— On fait courir deux lettres du roi de Prusse, l’une à Crébillon et l’autre à Voltaire. La première est un éloge de Catilina, la seconde est une censure très-vive de cette pièce. Cette contradiction fait le sujet des entretiens de tout Paris.

  1. Amsterdam (Paris), 1749, 2 vol. in-12.