Correspondance inédite du marquis de Sade/1792-1

Texte établi par Paul BourdinLibrairie de France (p. 303-324).


1792
(1er  JANVIER – 21 SEPTEMBRE)


La dépouille du grand prieur n’est pas encore attribuée : le receveur de Marseille en liquide une partie, celui de Toulouse l’autre.

Le marquis a fait des dettes et prépare plaisamment Gaufridy au grand coup qu’il va lui porter. La faute en est surtout à madame de Sade qui, après beaucoup de paroles, s’en est tirée en lui comptant quatre mille cinq cents livres sur la succession de sa mère. Mais, quand M. de Sade aura été remis à flot, rien ne viendra plus déranger ses dispositions et, si l’avocat le veut bien, ils prendront ensemble un petit arrangement qui durera autant que leur vie.

La présidente, lasse de pourvoir aux besoins de sa fille, à qui le marquis ne paie pas sa pension, est décidée à plaider encore. Elle en avise Reinaud qui fait connaître à Gaufridy pour quelles raisons de délicatesse on s’abstiendra de le consulter. Reinaud trouve que la conduite du marquis est une injustice et une horreur, car la conscience bourgeoise juge toujours avec sévérité les manquements à payer, l’argent étant pour elle une rançon adéquate à toute libération et même la commune mesure de toutes choses. L’essentiel est, après tout, d’en avoir une.

Le chevalier, qui est en garnison à Lyon, vient passer quelques jours chez sa tante de Villeneuve avant de partir pour Strasbourg avec son régiment. Cette nouvelle jette M. de Sade en frénésie. C’est un coup des Montreuil et son fils n’a été dépêché à la vieille dame que pour lui souffler l’héritage. S’il a celui de madame de Villeneuve, il n’aura pas celui du marquis. Tout, jusqu’au ton que prennent maintenant ses créanciers pour réclamer leur dû, montre à M. de Sade les inqualifiables procédés des parents de sa femme, qui disait des pâtenôtres au lieu de songer à l’en défendre. Ses fils sont des ennemis. Néanmoins, bien qu’il n’approuve pas sa conduite, le marquis a fait honneur à une lettre de change que son aîné, qui a émigré, vient de tirer sur lui.

M. de Sade a pris feu trop vite. Le chevalier n’a pas enlevé l’héritage, et le voilà soudain tout attendri : la tante n’a donné que trois cents livres à ce pauvre petit diable ! Elle se conserve si bien que l’on n’en finira pas, si l’on veut attendre sa mort. Il faut donc trouver quelque expédient pour la soulager de son argent sans nuire à sa santé, et l’on s’exposerait, par une trop longue inaction, au double chagrin de la perdre et d’en être déshérité.

Le mieux serait, évidemment, d’opérer soi-même et le marquis est de plus en plus tenté d’aller à la Coste au printemps. Il ferait ce voyage avec son amie, car ce n’est qu’une amie et il ne doit y avoir sur ce point aucune équivoque. Cette personne est extrêmement honnête et réservée. Elle lit toutes les lettres de Gaufridy et l’avocat fera bien de ne parler d’elle qu’en bons termes.

Mais où logera-t-il ? Au château ou dans le village ? Que dira-t-on en le voyant paraître ? Que dira-t-on s’il ne vient pas ? Où est le danger ? Et, s’il y a, de toutes façons, risque à courir, quel est le moindre ?

L’avocat est, hélas ! peu fait pour l’affermir. Il complote contre la nation, mais c’est un lièvre dont le moindre vent de panique agite les longues oreilles. M. de Sade vient d’apprendre qu’il a pris la fuite. Cette nouvelle le désespère et il pousse des cris si perçants qu’ils peuvent être tenus pour sincères. Gaufridy veut se réfugier à Lyon. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? La maison de son ami est petite, mais elle lui est ouverte. Si pareille aventure se renouvelle, l’avocat doit venir à Paris tout droit, en prenant avec lui un quartier pour faire bouillir la marmite du « pauvre diable qui sera heureux de le recevoir. » Ce n’est heureusement qu’une alerte. Gaufridy est rentré. On avait mis chez lui une garnison de vingt-quatre hommes qui y est restée pendant trois jours, et M. de Sade offre de prendre à sa charge la moitié de ces frais-là, car l’humeur « jacobite » a dû s’exercer sur le procureur à cause du maître.

Le ministre a parlé avec un grand sang froid, à la barre de l’assemblée, des excès qui ont été commis dans la ville d’Apt par les habitants de plusieurs communes du voisinage qui s’étaient réunis en armes, et le ci-devant marquis ne peut plus douter du danger qu’il y a pour lui à venir à la Coste car ses anciens vassaux ont figuré en bonne place dans la sédition. Les jacobins du village se sont en outre mis en tête de faire abattre ses créneaux. M. de Sade envoie aussitôt un long plaidoyer au président du club des amis de la constitution de la Coste, où il se recommande de son séjour à la Bastille. Il pense que la mauvaise renommée de cette prison tournera à profit de ménage. Mais, de toutes façons, l’humeur démolissante des Costains le pousse à prier Gaufridy de hâter son quatrième chargement. L’avocat fera démeubler et lui enverra sans plus attendre la grande cassette, après s’être assuré qu’elle ne court aucun risque d’être ouverte, ainsi que divers objets de son cabinet d’histoire naturelle, dont un superbe priape en bague, et ses papiers, y compris les lettres du procès de Paris. Il serrera le surplus et recourra, si besoin est, aux chefs militaires de la région, dont plusieurs ont été, dans le temps, les amis du marquis.

Le vent souffle du mauvais côté. M. de Sade fait néanmoins le projet de venir passer l’été de 1793 à Avignon avec la citoyenne Quesnet, de qui un billet sans date loue, à cette occasion, les vertus. Mais Avignon n’est pas plus sûr que la Coste. Tout le midi est en effervescence. Arles est mise au pillage par les troupes de trois départements qui se sont abattues sur elle « avec une quantité immense d’artillerie ». Lions a fui et écrit des lettres égarées sur ce qu’il a souffert et sur les exactions dont il n’a pu défendre les biens du marquis. C’est en vain que dans le Comtat les fermiers illuminent les châteaux aux frais des seigneurs à chaque passage de troupes et à chaque fête civique : on les remarque tout de même. Ripert n’écrit plus qu’en tremblant, en empruntant la main d’un tiers et sans signer.

La Provence est si agitée qu’elle se répand au dehors comme une eau en ébullition. Un Costain, du nom de Payan, est venu à Paris où il fait rage : le marquis le cherche partout pour s’amuser « du gonflement de sa figure et de ses épaules. » La fille de la Soton y arrive à son tour, jambe de ci jambe de là sur un cheval, dans le dessein de faire passer à l’assemblée un mémoire contre Gaufridy dont elle demande la tête. Le marquis fait l’impossible pour calmer cette créature qui est accompagnée d’un soldat inconnu. C’est, dit-il, madame de Sade qui la conseille mal, mais leur vieille amitié ne conseille pas mieux Gaufridy qui le laisse mourir de faim. Les griefs de la Soton sont nombreux et confus, et l’avocat a dû mourir de peur en lisant les lettres où le marquis lui conte ses tentatives pour la réduire au silence. Il n’y réussit pas et cette citoyenne tourne bientôt son humeur contre lui. Elle répand la fable que le chevalier a émigré, bien qu’il ait « vraisemblablement » rejoint quelque maison de son ordre, dont la souveraineté n’a pas encore été abolie au regard de la loi française. Elle colporte également toutes les « calomnies » inventées contre M. de Sade pendant les cinq années de la contumace. Le marquis s’en émeut et demande à l’avocat d’avoir un bon certificat avec beaucoup de signatures pour réfuter ces propos-là. Il est malade, sans le sol, écrasé de corvées à sa section et, comme parent d’émigré, ne peut quitter Paris.

Cependant les officiers municipaux et les notables de la Coste ont écrit à M. de Sade une lettre « fraternelle » dont il les fait remercier par son régisseur pour ne pas engager avec eux un commerce déplacé. Ils l’assurent que Gaufridy lui en fait accroire, qu’il n’y a aucun danger à venir à la Coste, que rien ne sera brûlé et qu’ils sauront garantir ses biens de toute atteinte. Cela est bel et bon, mais il faut démeubler tout de même, car tout le monde s’accorde à dire que la Provence est à la veille d’être envahie par les Espagnols, les Piémontais et les Russes, et les communications avec Paris seront coupées.

M. de Sade apprend avec humeur que Gaufridy a accepté de madame de Villeneuve la mission de débrouiller les affaires de sa défunte fille. L’avocat ignore-t-il donc qu’on ne peut hanter cette vieille dame sans se fâcher avec elle (surtout lorsqu’on est aussi négligent que lui) et, s’il perd le crédit dont il jouissait auprès d’elle, comment le marquis s’y prendra-t-il pour la faire surveiller et la chambrer à distance ? Tout se ligue contre lui. Ayant femme et enfant il est seul dans le monde. Ses fils ont émigré et la journée du dix août lui rend son isolement plus sensible en lui en révélant le danger. La maison qu’il voulait acheter à Paris a été acquise par une fille pour soixante-sept mille livres, car, à ce temps comme jadis, ce sont les putains qui ont tout l’argent. La dépouille du grand prieur n’a encore rien donné au marquis, sinon l’argenterie qu’il a pu faire revenir de Toulouse, mais pour l’engager aussitôt au mont-de-piété. Toutes les administrations révolutionnaires en veulent à sa bourse, et on continue à lui réclamer pour la nation les redevances et les rentes que sa maison servait aux moines et aux curés. Par contre d’anciens justiciables demandent avec des menaces la restitution des biens qui leur ont été légalement confisqués par les officiers du seigneur. Son imprimeur est empêché par les circonstances de lui livrer le « Roman philosophique » sur lequel il comptait beaucoup. Enfin, pour comble d’infortune, le département des Bouches-du-Rhône a inscrit son nom par erreur sur la liste des émigrés et, malgré l’envoi qu’il a fait à Lions aîné (qui n’est qu’un fripon) de ses certificats de résidence, son revenu d’Arles a été momentanément saisi.

C’est le moment qu’un sieur Courtois choisit pour offrir de racheter un cens annuel qu’il fait au seigneur, alors que tous ses pareils attendent la loi qui exonérera les redevanciers des taxes non fondées en titre. Eh bien ! Cet honnête homme paiera pour les autres, et le marquis va s’efforcer d’obtenir de lui, au prix le plus élevé et en numéraire, une indemnité qu’il ne doit plus. « Envoyez-moi, écrit-il à Gaufridy, cette prune pour mon dessert ! »

On a brûlé sur la place Vendôme les papiers de la noblesse, et M. de Sade, qui craint la pareille, donne l’ordre de transporter à Mazan ses titres de famille, les livres terriers et ce qui reste de l’ancien chartier de Saumane. Ils y seront d’ailleurs si bien cachés qu’on ne les retrouvera plus. La municipalité du même Saumane l’impose de six cents livres pour l’équipement de six volontaires et le marquis serre soigneusement la reconnaissance de ce don patriotique qui peut servir, à l’occasion, de certificat de civisme.

L’état de ses affaires est affreux. Lions aîné se cache. Les Ripert émigrent sans lui avoir payé ce qu’ils lui doivent. Bientôt l’avocat s’enfuit de nouveau et gagne Lyon. Cette nouvelle désole le marquis. Pourquoi son ami a-t-il fait choix de cette ville, où la vie est fort chère, alors qu’on lui offre à Paris une hospitalité à meilleur compte ? A-t-il du moins prétexté son départ pour qu’on ne songe pas à l’attribuer à des manquements ou à la peur ?

L’ère républicaine s’ouvre sur d’autres désastres domestiques que M. de Sade ignore encore.




Le marquis avise plaisamment son régisseur des dettes qu’il a faites. (Sans date).

……Voici bien une autre antienne que je vais vous chanter, cher avocat. Allons, prenez-moi vite une mine bien sérieuse, ridez le front, froncez le sourcil, dites deux ou trois fois : « Ah ! ché peste d’homme és isso[1] ! » (ce patois est-il bon ou non, je n’en sais rien), mais, après avoir bien pesté, bien juré, lisez les fatales lignes que je vais vous tracer.

J’ai touché la lettre de crédit, et je la garde sans la passer en aucune déduction sur les deux prochains quartiers, et cela par les raisons que je vais vous détailler ci-dessous… Une pause, avocat, car le coup est violent, et franchement il faudrait quelques gouttes d’éther pour faire avaler cela ! Écoutez-moi maintenant.

Vous imaginez bien que, sorti de la Bastille[2] le trois avril 1790 avec, pour tout mobilier et tout vêtement, trois mauvais matelas et une redingote de ratine brune, point de culotte, il était difficile que vingt et un mois après je me trouvasse, comme je suis, ayant huit paires d’habits complets tous neufs, d’assez bon linge, une maison petite, mais charmante, assez jolie pour qu’on l’admire… à Paris où les yeux sont blasés sur le luxe, trois ou quatre bonnes maisons où je peux aller dîner et souper quand bon me semble, mes entrées à tous les spectacles, et une sorte de considération littéraire, une compagne honnête et pleine de soins pour moi et d’assez bon vin dans ma cave ; vous sentez bien, dis-je, cher avocat, qu’il était impossible que je passasse de la situation où j’étais il y a vingt et un mois à celle où je suis maintenant sans beaucoup de frais, de soins, de travaux, de fatigues et de courage. Or tout cela entraîne quelques dettes ; il y a des moments où, sans vous en rien dire, ces dettes se montaient à neuf mille francs. Je comptais sur madame de Sade, elle me devait bien légalement dix mille francs de la succession de ma mère. Avais-je tort de m’enfiler jusqu’à neuf, sachant qu’on me devait dix ? Cependant mon espoir s’est vu trompé ; on a eu beau plaider, crier, tempêter, la chère marquise s’en est tirée avec quatre mille huit cents francs et il est resté quatre mille et tant de dettes à son cher époux, portant absolument à faux. J’ai quelque espoir, mais rien ne va maintenant. Si les imprimeurs vous achètent vos ouvrages, c’est avec des billets à termes très éloignés ; et cependant il faut payer……


Reinaud annonce à Gaufridy la fin du procès de M. de Sade et de sa femme. (2 février 1792).

Voici de l’essentiel, mon cher Gaufridy.

Madame de Montreuil vient de m’annoncer que toutes les affaires entre M. de Sade et sa femme sont finies, par des jugements suivis d’une transaction bien cimentée. Le compte de gestion de madame de Sade est rendu et admis ; ce qui l’a facilité, c’est un tapissier qui est venu se jeter pour ainsi dire au milieu, à raison d’une fourniture faite au marquis, voulant être payé de gré ou de force……


Le marquis accuse son fils le chevalier de s’être rendu auprès de madame de Villeneuve pour lui souffler son héritage. (6 février 1792).

Me voilà encore forcé, mon cher avocat, de vous écrire une lettre à la hâte et qui ne servira point de réponse à celle de vous en date du deux de l’an. L’événement m’y contraint. Il s’agit de M. le chevalier qui, comme vous le savez sans doute, est maintenant auprès de madame de Villeneuve. Il est parti lestement de sa garnison et sans me prévenir de rien, se contentant de me dire : « Je pars. » Le voilà près de madame de Villeneuve ; il est bien facile de voir d’où le coup part, et vous devinez mieux que moi que les Montreuil l’ont dirigé. Quant aux intentions, elles se devinent aussi facilement que le conseil. Vous seul, mon cher avocat, pouvez parer le coup qu’on cherche à me porter. Au nom de Dieu, voyez sur le champ madame de Villeneuve et… que vous dirai-je ici ? Il n’est pas douteux que ce jeune homme va pour disposer ma tante à faire son testament en sa faveur, qu’il y va pour tâcher d’usurper tout l’argent comptant. C’est donc à vous, mon cher avocat, à mettre tout en usage pour parer un pareil coup. Envoyé par madame ma mère, vous comprenez bien aussi que M. le chevalier va s’informer du revenu des terres, de leur rapport, et tout cela pour que madame de Sade, instruite, nous persécute ensuite de lui payer ses quatre mille francs. Or, comment accorderons-nous les récits que va faire M. le chevalier avec ce que j’ai dit, moi ? Tout saisi, tout dégradé, tout en friche, voilà mon tableau. C’est de cette peinture que j’ai déduit l’impossibilité de payer la marquise… et vous voyez que le chevalier va gâter tout. Parez à tout cela, au nom de Dieu ! Marquez tout à ce chevalier, et prenez bien garde surtout qu’il n’emprunte un écu là-bas, parce que, très assurément, je ne le passerais pas en compte.

M. le chevalier vient de faire là un voyage que je ne lui pardonnerai de ma vie. Je ne lui laisserai pas ignorer à quel point j’en suis piqué, et vous me ferez plaisir de lui en dire un mot. Je vous demande le journal le plus exact et le plus circonstancié de son séjour et de sa conduite là-bas ; ne me cachez rien. Dans une telle circonstance, je ne puis rien vous conseiller ; votre amitié pour moi doit tout vous dicter et votre probité doit vous convaincre qu’il n’est pas juste qu’un fils hérite avant son père, mille fois plus indigne encore qu’il aille escroquer une succession à son père. M. le chevalier peut être sûr qu’il n’aura de ses jours signe de vie de moi, maintenant. Je n’aime ni les escrocs ni les espions ; jamais son frère n’aurait été capable d’une telle infamie !……

Ne vous endormez pas sur de telles manœuvres, cher avocat, je vous conjure, et ne perdez pas une minute pour en émousser les effets.


Le marquis pense que le chevalier a été conseillé par les parents de sa femme et déplore l’erreur commise par le feu comte lorsqu’il lui a fait épouser cette fille de maltôtiers. (15 février 1792).

……Vous avez vu par ma dernière l’extrême chagrin que me donne le voyage de M. le chevalier de Sade en Provence, petite atrocité dont je le crois fort incapable, mais qui lui a été conseillée par les Montreuil et dont, malheureusement, lui seul pourtant se repentira parce qu’il avait, et assez d’âge, et assez de bon sens pour refuser une telle infamie. Je ne doute pas qu’il ne soit maintenant en possession de l’héritage de madame de Villeneuve. Je l’en félicite en l’assurant bien que celui-là lui tiendra lieu du mien, et que tout le tort que je pourrai lui faire lui sera bien certainement fait dans mes dispositions testamentaires ; il peut en être bien sûr…… Ne lui laissez pas ignorer mon mécontentement sur cet objet et surtout point de prêt d’argent, parce que je n’en allouerai certainement aucun. Mais parlons d’autre chose, car depuis bien longtemps je n’ai rien eu qui me donne plus d’humeur que l’odieux et exécrable procédé de ce petit monsieur-là. Il fera beau quand il aura maintenant une lettre de moi !……

Je ne conçois pas comment madame de Sade ne donna pas des ordres pour faire absolument démeubler le château lorsqu’elle prévit que de longues années allaient s’écouler sans qu’on y fût. J’avais cette précaution autrefois pour un an ou deux, pourquoi donc ne pas l’avoir quand il s’agit de douze ou quinze ? Mais la bonne dame disait ses patenôtres et cela valait bien mieux que d’avoir soin de mes affaires……

D’un autre côté, madame de Sade exige ses quatre mille francs ; le diable m’emporte si je sais comment faire ! Quand mon pauvre père disait : « Je fais épouser à mon fils cette fille de maltôtiers pour qu’il s’enrichisse », le pauvre homme ne savait pas que ces maltôtiers, ces banqueroutiers me ruineraient……


Le marquis s’est trompé sur les intentions du chevalier, mais il n’y voit que trop clair sur celles de sa tante de Villeneuve. Il demande renseignements et conseils en vue du voyage qu’il voudrait faire en Provence avec la dame Quesnet. (Sans date).

……Je n’ai jamais douté du cœur du chevalier de Sade, mais beaucoup des gens qui le font agir ; faible, jeune et gardé par les Montreuil, il était possible qu’il fît beaucoup de petites infamies. Vous me rassurez ; tout est dit ; mais je n’ai pas caché mes craintes ici ; les Montreuil les ont sues ; madame de Sade a cherché à me rassurer. Vos détails, je l’avoue, y ont mieux réussi que ses lettres.

Je suis fâché que le pauvre petit diable n’ait eu que trois cents francs. La chère tante n’est pas généreuse ! La visite valait mieux que cela, son voyage ne sera pas payé……

Je vois que, puisque la chère tante dispose de ses fonds, il faut renoncer à lui emprunter l’argent nécessaire à acheter ma maison. Je vois encore à cela que, puisqu’elle dispose de ses fonds pour acheter, elle pourra également disposer des immeubles acquis et m’en frustrer par son testament. En un mot, ce que je crois voir de très clair à tout cela, c’est qu’il en sera pour moi de cette succession comme de toutes les autres, c’est-à-dire que j’en serai pour mon deuil. D’après cela, ce que je lui souhaite bien sincèrement, c’est qu’elle vive plus longtemps que moi, afin de n’avoir pas deux chagrins à la fois : celui de la perdre et celui d’en être déshérité.

Mais où la chère dame a-t-elle pris, je vous conjure de me l’apprendre, que j’avais envie de lui envoyer mes œuvres philosophiques ? Si j’y ai jamais pensé, je veux que la peste m’étouffe !…… À l’égard de mes invectives sur les Montreuil, elle ne se rappelle pas encore, la bonne dame, que c’est elle qui a commencé. Il est vrai qu’il n’a pas fallu grand chose pour m’échauffer le crâne. On est éloquent lorsqu’il s’agit d’invectiver ce qu’on déteste ; mais qu’elle se tranquillise encore sur cela. Je ne lui en parlerai plus. Je l’ai vue autrefois très opposée à toute cette canaille montreuillique ; elle les aime à présent… à la bonne heure ! Je lui réponds de n’être jamais son rival……

Au nom de Dieu, faites donc taire Conil ! Je vous envoie sa lettre avec ma courte réponse au bas. Faites-la lui savoir, si vous la trouvez juste ; si elle ne l’est pas, tergiversez et calmez-le jusqu’à mon arrivée, mais dans tous les cas faites-le taire, car de ma vie je n’ai vu d’âne braire aussi fort que cet animal-là. Assurez-le bien que je ne lui répondrai jamais, qu’il est par conséquent très inutile qu’il m’écrive, et surtout des lettres aussi insolentes que celle-la. Le décret de l’assemblée égalise les hommes, mais il n’assimile point, il ne réunit point l’homme à la bête, et Conil, d’après cela, devant sentir ses distances qu’il oublie, devrait, au lieu de m’écrire, rentrer à l’écurie, demander de l’avoine et se taire……

Rien, mon cher avocat, n’est maintenant certain comme mon voyage…… Éclairez-moi maintenant sur une infinité de choses. Où logerai-je ? Où habiterai-je ? Où établirai-je mon quartier général ? Je serai peu de temps en Provence, trois mois au plus, et, pendant ces trois mois, nous courrons, vous et moi, beaucoup. Mais encore faut-il que ma tente soit placée quelque part. Il faut un domicile, un point de réunion ; où le prendrai-je ? Mazan, inlogeable ; Saumane, j’en ai peur ; la Coste, un peu de dégoût, du château s’entend, car je pencherais assez pour une maison dans le village ; mais cette habitation villageoise n’a-t-elle pas l’air de la crainte et de la timidité ? Préférée par des sentiments d’égalité, de bonhomie, de démocratie, ne sera-t-elle pas, et blâmée par mes égaux, et méchamment dévoilée dans son principe par mes inférieurs ? Portez, cher avocat, la plus scrupuleuse attention sur la réponse que vous allez me faire au conseil que je vous demande et décidez-moi promptement, car, en conséquence de votre réponse, je ne vous écris plus que pour consolider nos arrangements. Une des grandes raisons qui me fait pencher pour le séjour d’Apt ou d’une maison au village de la Coste, c’est que j’aurai une amie avec moi et que c’est à cause de cela que je veux que ma conduite soit dans le plus grand jour. Cette amie, qui, très certainement, n’est pas autre chose avec moi, est, très certainement encore, une très honnête femme. Il n’y a pas le plus petit louche ni sur sa conduite ni sur ma manière d’être avec elle ; elle serait très offensée du soupçon et s’opposerait à toute conduite de ma part qui pourrait en faire naître ; supplément de motifs pour être à grand jour. Notre train d’ailleurs sera très médiocre. Ou nous nous mettrons en pension pendant nos trois mois dans une maison honnête, ou nous prendrons une cuisinière et nous n’aurons à nous deux qu’un seul laquais. Point de fêtes, point de dîners, point de maison, point d’état…… Depuis que l’amie dont je vous parle est décidée à venir avec moi, elle lit vos lettres. Or cette femme est extrêmement honnête et sensible. Ne m’écrivez donc rien sur elle, si vous en parlez, qui l’affecte, la refroidisse ou l’inquiète sur ce voyage. Adieu, cher avocat. Je vous aime et vous embrasse de tout mon cœur.


Le marquis est rempli de crainte pour son cher avocat qui aurait été obligé de prendre la fuite.

Ce 26 mars 1792.

Au nom de tous les saints du paradis, mon cher avocat, écrivez-moi, et éclaircissez-moi les troubles d’Apt et la part que vous y avez[3] ! Je reçois à l’instant une lettre de Langlois qui, sans aucune explication, me dit : « Monsieur Gaufridy et son fils sont fugitifs ! » Cette maudite phrase, écrite par cet imbécile qui devait au moins l’éclaircir en l’écrivant, cette maudite phrase, dis-je, me fait écrire à tout l’univers pour savoir de vos nouvelles, et l’amitié que j’ai pour vous, mon cher avocat, ne peut soutenir un instant d’alarme sur ce sujet. Je vous en conjure, mandez-moi ce qui a pu faire écrire une telle phrase à Langlois. Je viens de le tancer d’importance pour s’être avisé de m’écrire cela, mais mon inquiétude ne s’est point calmée par les sottises que je lui ai dites ; elle ne s’apaisera qu’en recevant de vos nouvelles, et donnez-m’en tout de suite, je vous le demande en grâce. Abandonnez-moi, quittez mes affaires, ne prenez plus nul intérêt à moi, tout cela, s’il le faut, j’y consens ; mais aimez-moi, mais conservez-vous, mais convainquez-vous que vous avez dans moi un ami de l’enfance qui aimerait mieux qu’il lui arrivât du mal à lui que de lui en voir arriver à vous……


Le marquis a appris le retour de son régisseur ; il veut savoir si « l’humeur jacobite » règne à la Coste et annonce la chute d’une de ses pièces. (7 avril 1792).

J’ai reçu il y a quatre jours, mon cher avocat, l’assignat de mille livres que vous m’envoyez à compte, et avec lui l’assurance que vous êtes de retour dans votre patrie, dont l’on venait de m’assurer que vous exilaient les troubles. Quoique il paraisse à votre lettre que l’agitation y est encore bien grande, je vous avoue pourtant que j’ai été bien satisfait de vous y voir rentrer. Puisse-t-on vous y laisser en paix. Hélas ! après tout ce qui se passe, il faut en vérité s’en flatter beaucoup plus que le croire, car il n’y a maintenant pas un honnête homme qui puisse compter sur vingt-quatre heures de vie. Je ne vous ai pas répondu plus tôt parce qu’il m’arriva l’autre jour une visite inattendue à laquelle j’étais bien loin de m’attendre. Devinez… Le chevalier. Il y avait deux ans que je ne l’avais vu ; il venait de m’écrire de cent soixante lieues, et tout à coup le voilà qui entre dans ma chambre et qui me saute au col. Il était envoyé par le marquis de Toulongeon dont il est aide de camp. Il apportait en courrier une lettre importante, et repartait tout de suite avec la réponse. À peine avons-nous été quatre ou cinq heures ensemble……

Je vous avertis que je veux et que j’exige absolument entrer pour moitié dans les frais de votre garnison de vingt-quatre hommes pendant trois jours. Il y a bien eu quelque chose de relatif à moi dans les causes de l’humeur jacobite qui vous a fait donner une si forte charge ; il est donc juste que je la partage et je l’exige. Mandez-moi un peu qui sont à peu près ceux de la Coste qui se sont portés avec tant d’acharnement à Apt. Quel est en général l’esprit des Costains ? Quels sont les jacobins de la Coste ? Si un Payan que je vois ici, sur nos listes d’enragés venus à Paris comme administrateurs, n’est pas notre petit Payan de la Coste ? En un mot, comment vous croyez qu’on me recevra à la Coste, si c’est là où se fait ma résidence pendant mon voyage de trois ou quatre mois, soit cette année, soit la prochaine ? L’humeur de tous ces gens-là se porte-t-elle seulement sur les prêtres qui n’ont pas voulu faire le serment, ou agit-elle un peu aussi contre les possesseurs de fonds ? Si Jourdan[4] et ses complices ont obtenu leur liberté, le Comtat est perdu ! Il n’y a pas ici deux manières de voir cela et malheureusement, quand on leur offre ces vérités à l’assemblée, ils les rejettent avec acharnement……

La faction jacobite a fait tomber le mois passé une pièce de moi au Théâtre Italien, seulement parce qu’elle était d’un ci-devant. Ils y parurent en bonnet de laine rouge. C’était la première fois que l’on voyait pareille chose. Cette mode a duré quinze jours, au bout desquels le maire en a obtenu l’anéantissement, mais il m’était réservé d’en être la première victime. Je suis né pour ces choses-là. Je vous embrasse et vous recommande d’avoir bien soin de votre santé dans tout ceci.


Le marquis écrit au président du Club de la Constitution à la Coste et cherche à sauver ses créneaux au prix d’une déclaration révolutionnaire.

Monsieur le président,

Si je ne venais pas d’écrire une grande lettre à MM. vos officiers municipaux, contenant l’expression des sentiments qui m’attachent, à tant de titres, à la révolution et à la constitution française, je me croirais obligé de vous les renouveler ici, d’après la conclusion qui vient, m’assure-t-on, d’être prise dans votre assemblée relativement à la démolition des créneaux de ma maison de la Coste. Mais, comme je ne veux pas vous ennuyer par les répétitions des phrases d’une lettre dont vous aurez eu sans doute connaissance, je me bornerai à vous prier simplement dans celle-ci de ne pas donner à la province l’exemple d’une contradiction qu’elle aurait trop de peine à comprendre ; car vous en conviendrez, monsieur le président, il paraîtrait assurément bien bizarre de voir, dans le faible écoulement de trois lustres, ma malheureuse maison de la Coste à la fois souillée par les indignes satellites du despotisme ministériel et dégradée par les ennemis de ces satellites, d’où il résulterait que, ne sachant plus quel parti prendre, ni quelle région habiter, l’homme qui doit avoir le plus de motifs pour haïr, pour détester l’ancien gouvernement se trouverait pourtant obligé de le regretter puisqu’il lui deviendrait impossible de trouver des défenseurs et des amis, même parmi ceux qui doivent partager ses sentiments. Croyez-vous, monsieur le président, que je ne serais pas plaint dans un tel cas ? Croyez-vous qu’on n’accuserait pas d’injustice ceux qui m’auraient ainsi traité ? Et croyez-vous qu’on ne me dégoûterait pas de l’enthousiasme avec lequel je prends, et dans mes discours, et dans mes écrits, le parti d’une révolution à laquelle, je crois devoir beaucoup plus qu’elle ne me fait perdre.

Si l’on enlève seulement une pierre de la maison que j’ai dans votre enceinte, je me présente à nos législateurs, je me présente à vos frères des jacobins de Paris, et je demande qu’il soit gravé sur elle : « Pierre de la maison de celui qui fit tomber celles de la Bastille et que les amis de la constitution arrachèrent du domicile de la plus infortunée des victimes de la tyrannie des rois. Passants, vous insérerez cet outrage dans l’histoire des inconséquences humaines ! »

Ah ! laissez mes vieilles masures, monsieur le président ! Voyez mon cœur, ouvrez mes écrits, lisez mes lettres imprimées et répandues dans tout Paris, lors du départ des dames de France et lors de la fuite du roi ; vous verrez là si c’est l’auteur de pareils écrits que l’on doit vexer dans ses possessions. Sont-ce ses procédés que vous voulez juger ? Informez-vous et l’on vous dira s’il n’est pas universellement reconnu, s’il n’est pas authentiquement imprimé, que ce sont les rassemblements du peuple faits par moi et sous mes fenêtres à la Bastille qui m’en ont fait subitement enlever comme un homme dangereux et dont les motions incendiaires allaient faire renverser ce monument d’horreur. Faites-vous donner les lettres du gouverneur de la Bastille au ministre, et en y lisant ces mots : « Si M. de Sade n’est pas enlevé cette nuit de la Bastille, je ne réponds pas de la place au roi », vous verrez, monsieur, si c’est là l’homme qu’il faut molester. Ai-je émigré, moi, monsieur ? N’ai-je pas même toujours abhorré jusqu’à l’idée d’une pareille démarche ? Ne suis-je pas citoyen actif dans ma section ? Ne payé-je pas mes gardes, mes contributions ? M’y voit-on porter d’autres titres que celui d’homme de lettres ? Écrivez dans mon district et vous verrez ce qu’on y pense de moi… Mais mes créneaux vous déplaisent ! Eh bien ! messieurs, tranquillisez-vous ! C’est à la société entière que je m’adresse ici ; je ne vous demande que la gloire de vous les sacrifier moi-même au premier voyage que je ferai dans votre département ; la constitution d’une main, le marteau de l’autre, je veux que nous fassions une fête civique de cette démolition. Pacifions en attendant, messieurs, et respectons les propriétés. C’est de la constitution même que je transcris ces paroles ; vous les vénérerez comme moi, j’en suis sûr, et vous vous souviendrez, ainsi que je l’écrivais hier à MM. vos municipaux, que Brutus et ses partisans n’avaient ni maçons ni incendiaires à leur suite quand ils rendirent à Rome cette liberté précieuse que lui ravissaient des tyrans.

Je suis avec la plus cordiale fraternité, monsieur le président, et messieurs, votre très humble et très obéissant serviteur.

Louis Sade.

Ce 19 avril 1792, rue Neuve-des-Mathurins, chaussée de Mirabeau, no 20, à Paris.


Le marquis estime que tous les Provençaux sont devenus fous. (28 avril).

……M. Lions m’écrit d’Arles. L’extrait de sa lettre est d’abord la peinture des maux qu’il a soufferts. Aucun détail sur le mas de Cabanes ; il les promet ; il ajoute qu’il a eu chez lui un homme à discrétion et que la municipalité m’a condamné à payer mille francs pour le renvoi des marseillais. Je lui ai répondu de m’envoyer la quittance de ces mille francs pour qu’elle me serve au moins en déduction des impositions qu’on me demande ici, ou qu’elle vous en serve à vous pour également payer moins. Je crains que ma lettre ne lui plaise pas, parce que j’ai l’air de le croire un peu exagérateur, et que dans le fait sa lettre, qui annonce, tant par le style que par l’orthographe et l’oubli des mots, une tête totalement troublée, n’annonce qu’un exagérateur ou un fol……

Ripert tout effrayé m’écrit aussi, sans signer, et d’une main inconnue. Le diable m’emporte si vous n’êtes pas tous devenus fous en Provence ! Pour vous, s’il vous prend un second accès, avocat, ne venez vous guérir qu’à Paris, rue des Mathurins, no 20, je vous en supplie. Je vous réponds de vous rétablir là en huit jours. Six doses de Palais-Royal vous mettront sur le champ à la raison, j’en réponds. Accourez donc, je vous en conjure. Je vous avoue que j’aurais un plaisir bien vif à vous embrasser. Je sens bien que l’offre que je vous fais de mes châteaux n’est pas très constitutionnelle, mais celle de ma maison de Paris l’est et je vous y attends……


Le marquis a reçu des municipaux de la Coste une lettre « fraternelle » l’invitant à retourner au pays ! (Sans date).

……J’ai enfin reçu la lettre fraternelle de MM. de la Coste. Elle est très bien ; il y a de la sensibilité, de l’attachement, beaucoup de jacobinisme et la promesse de prendre mes propriétés sous leur sauvegarde, promesse qui me fait grand plaisir, attendu qu’au moyen de cela ils ne pourront plus m’allumer. Vous savez que ce mot est consacré pour les brûlures de châteaux. Ils me préviennent qu’il faut que j’envoie à MM. du directoire de notre département un certificat de résidence ; le voici……

Cette lettre d’ailleurs est pleine d’assurance de tranquillité ; ils m’assurent que les troubles sont et ont été fort médiocres, et m’engagent vivemnt à venir ; je vous charge spécialement au sujet de tout cela de leur faire dire quelque chose d’honnête de ma part. Il est bien extraordinaire qu’on s’avise de dire que c’est vous qui me conseillez de ne pas venir, vous qui, au contraire, en l’air avec moi depuis ma résurrection, avez et devez avoir le plus grand intérêt à ce que nous voyions enfin comme nous sommes. Dépersuadez-les bien de cela, et si j’ai encore occasion de leur écrire, je le ferai sans doute de même. Je voulais, rien qu’à cause de cela, répondre à leur lettre, mais la crainte de faire de cela un commerce suivi, déplacé sur tous les rapports, m’a contenu ; enfin, tôt ou tard, j’arriverai un jour, j’espère, et ils verront comme je leur parlerai sur cela……

L’invasion de la Provence par les Piémontais est sûre si l’on n’y met ordre. Il y a à craindre que les Espagnols ne s’y joignent, mais, pour les Russes, bien certainement. Leur flotte débarque à Sète au mois de juin, et vous n’avez pas, Dieu merci, dix mille hommes de bonnes troupes pour vous opposer à cela. C’est en raison de toutes ces démarches hostiles que je vous ai prié de démeubler la Coste, de m’envoyer au plus tôt ce quatrième envoi qui tarde tant, puis de serrer avec soin tout le reste dans les armoires, en ne laissant meublé que le bas, et ma chambre d’été……

Le chevalier a déserté, et d’une vilaine manière ; l’aîné s’est bien mieux conduit. Adieu, mon cher avocat. Tout cela me donne bien du chagrin ; ayant femme et enfants, me voilà isolé dans le monde comme un célibataire. C’est toujours là ce que j’avais craint. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur.


Le marquis cherche une pension bourgeoise à Avignon pour la dame Quesnet et pour lui-même. (Sans date).

On voudrait trouver dans Avignon, n’importe le quartier, une pension pour les six mois, d’avril à octobre 1793. On désirerait que ce fût dans un ménage bourgeois de gens au-dessus de quarante ans, n’importe l’état ; ou, par préférence, chez une dame veuve également de cet âge, dont on puisse faire sa société. On désire pour logement deux chambres à coucher avec garde-robe, des lits propres et bons, un grand cabinet ou salon attenant ces deux chambres et une chambre de domestique. Quant à la nourriture, on désire également la trouver dans la même maison. On veut à dîner la soupe, le bouilli, une entrée, un entremet, du dessert, du bon vin d’ordinaire, une misère à déjeuner et un plat de légumes à souper. Un homme d’environ cinquante ans, une femme d’à peu près trente, uniquement liés par l’amitié, sont les trois personnes dont il est question. L’homme a de fréquents voyages à faire dans les environs, moyennant quoi il sera moins à charge pour la pension. Quant à la dame, elle sera plus sédentaire ; sa société est douce ; elle est pieuse, extrêmement honnête, fort réservée, et désire trouver les mêmes vertus dans les personnes qui prendront en pension et en société, elle et son ami.

Il est inutile d’observer qu’on ne veut pas absolument d’auberge. C’est une maison bourgeoise et honnête que l’on veut.


Le marquis veut faire donner une sépulture inviolable à Laure.

……On va sans doute démolir les Célestins d’Avignon ou disposer de ce terrain. Les cendres de Laure reposent en cette église, dans une chapelle de notre maison. Ne serait-il pas décent de donner à cette femme célèbre un asile inviolable, tel qu’une des paroisses de mes terres, et ce projet, uniquement philosophique à mes yeux, ne serait-il pas vu comme aristocrate par les patriotes ? Je vous consulte sur ce fait, vous m’y répondrez, je vous prie. Les pères célestins d’ailleurs ont, je crois, quelques papiers ou monuments relatifs à Laure. Ne faudrait-il pas les retirer ? Ils ont, je crois, l’original des vers de François premier pour Laure[5] ; ce serait, me semble, une pièce à retirer.


Le marquis n’entend pas rembourser un insolent emprunt de son fils le chevalier et apprend à Gaufridy l’étrange équipée de la fille à la Soton. (10 juillet).

……On assure que M. le chevalier, à son dernier voyage de Provence, c’est-à-dire tout dernièrement, entra chez vous d’un air fort décidé, et vous dit : « Il me faut de l’argent ! » Vous refusâtes d’abord. Il tint alors de fort mauvais propos, vous dit qu’il était le maître, qu’il était chez lui etc. Ému, vous répondîtes que vous n’aviez que six cents francs. « Eh bien ! dit-il, donnez-les moi », et vous les lui donnâtes. Je vous somme de me dire la vérité sur ce fait. D’abord, si vous ne me la dites pas, vous en seriez la dupe, attendu que je vous donne ma parole d’honneur que je vous passerai jamais cet article-là dans vos comptes. Madame de Sade touchant les revenus de ses enfants doit seule solder ce ridicule et insolent emprunt……

Il est arrivé ici une fille de votre connaissance, mais non pas de vos amies ; cette créature est la fille de la Soton, arrivant sur un cheval à Paris tout exprès pour présenter à l’assemblée nationale un mémoire contre vous, contre le curé ancien et deux ou trois autres Costains, causes, dit-elle, de ce qu’on a fait perdre les écoles à sa mère. Elle est furieuse contre vous ; je ne vous parle pas de tous les torts relatifs à moi qu’elle vous prête, parce que, sur ces choses-là, n’écoutant jamais que mon cœur, votre défense s’y trouve écrite mille ans avant l’accusation ; mais cette fille… son cheval… tout cela était furieux, tout cela ne voulait rien moins que votre tête. Cette dame dont je vous ai parlé, et avec laquelle je loge, qui, par parenthèse, rien que sur la lecture de vos lettres vous a pris dans la plus grande amitié, a fait l’impossible pour la calmer ; elle l’a fait dîner avec elle ; elle l’a revêtue de ses propres habits pour la mener aux promenades, aux spectacles ; rien ne la désarmait ; son refrain était toujours : la tête de M. Gaufridy ! Je ne puis, dans cette lettre-ci, vous rien encore mander de positif, parce que nous sommes encore à la travailler, non pas à lui demander grâce, comme bien vous croyez, mais à lui faire entendre que les gens qu’elle accuse n’ayant aucun tort, ses démarches ne serviront qu’à la faire passer pour une folle……

Soton vous accuse fort d’un commerce avec les Montreuil. Je ne le crois pas et n’ai qu’un mot à vous dire pour vous faire voir que je n’y crois pas : vous êtes mon ami et les Montreuil sont mes plus grands ennemis. Ce sont de plus des gueux, des scélérats reconnus, et que je pourrais perdre d’un mot si je voulais ; mais j’ai pitié d’eux, je leur rends mépris et indifférence pour tout le mal qu’ils m’ont fait……

Adieu, cher avocat ; au nom du ciel, de l’argent, de l’argent, de l’argent !


Le marquis met l’avocat au fait du tapage que mène la Soton. (Sans date).

……La Soton fait toujours grand tapage ; avant hier elle vint me donner ici une scène de pleurs…… Cette gueuse-là me paraît fort dangereuse ; elle va toujours en avant et dit à présent qu’elle ne peut pas s’empêcher de me compromettre aussi dans la plainte qu’elle rend. Elle a fait faire un mémoire ; elle a demandé à son avocat la permission de me faire voir ce mémoire, mais il le lui a défendu, preuve qu’on a envie de me fourrer aussi dans tout ce tripot-là. Elle voit madame de Sade qui, à ce qu’elle prétend, lui donne de fort mauvais conseils contre vous et moi. En ce moment voilà cette fille à ma porte avec un soldat qu’elle m’amène sans vouloir dire quel est ce soldat. Je les fais congédier tous deux et vais prendre le parti de ne plus recevoir cette créature ; elle n’a qu’à nous attaquer l’un ou l’autre ici et elle verra ce que je répondrai. Adieu ; de l’argent, de l’argent au nom de Dieu !


Ripert fils, qui peut-être a eu peur davantage, se flatte d’avoir été plus courageux que l’avocat en assistant au repas patriotique de la fête nationale. (16 juillet 1792).

……Je ne suis pas si peureux que vous, mon cher M. Gaufridy, et j’ai pu faire contre mauvaise fortune bon cœur, c’est-à-dire qu’au lieu de fuir la fête de la nation, crainte d’événement, comme vous l’avez fait, j’ai au contraire assisté à toutes les cérémonies et au souper patriotique qu’il y eut hier ici. Tout s’est passé fort tranquillement ; je n’ai pas laissé pourtant de me faire bien de violence aux cris continuels de « Ça ira » que j’entendais de toutes parts. Votre perruquier, qui est assez bon patriote, vous fera le récit de cette fête……


M. de Sade se ménage une preuve de civisme en faisant attester conforme aux originaux, par les citoyens Macarel et Girouard, la copie de trois lettres qu’il écrit au président de Montreuil, à sa femme et à ses fils touchant l’émigration de ceux-ci.

Copie de la lettre écrite à M. de Montreuil, mon beau-père, demeurant rue de la Madeleine-Saint-Honoré, no 9.

Monsieur,

Vous n’ignorez pas sans doute le décret qui met en état d’arrestation et sous le glaive de la loi les parents des émigrés.

Vous avouerez, monsieur, qu’il est très dur pour moi que, perpétuellement la dupe, et des manœuvres, et des projets de votre famille, je devienne encore, dans ce cas-ci, la victime de ses imbéciles procédés, car il n’y en avait assurément pas un dans le monde, et plus bête, et plus dangereux, que celui de faire émigrer mes enfants. Je ne vois pas que, de ce que les vôtres, par une ambition aussi ridicule que mal entendue, ont voulu faire cette balourdise, il devînt nécessaire que les miens l’imitassent.

Était-ce pour prouver votre haute noblesse que vous vouliez que vos enfants, vos neveux allassent se ranger au rang des nobles ? Moi, monsieur, qui n’ai jamais eu cette risible folie, je n’ai désiré dans les miens que du patriotisme et de la bonne foi. En émigrant, ils ont manqué à l’un et à l’autre, et plus encore à moi qui m’y suis toujours fortement opposé, et devant des témoins de votre connaissance. Que madame de Montreuil, votre ambitieuse moitié, sacrifie tout, trahisse tout, pour tâcher de redonner la vie au squelette empesté de la dégoûtante robinocratie et à la griffe pestilentielle des ministres à lettres de cachet, rien de plus simple, mais moi, monsieur, qui ai écrit, imprimé, déclaré à tous ceux qui ont voulu me lire ou m’entendre que j’étais prêt à perdre jusqu’à la dernière goutte de mon sang plutôt que de me prêter à rien de ce qui pourrait rappeler en France le détestable régime dont j’ai tant souffert, moi, dis-je, monsieur, furieux du parti que vous forciez mes fils de prendre, j’aurais dû dénoncer sur le champ votre maison comme le foyer de la stupide aristocratie où tous ces affreux projets, et bien d’autres peut-être, et se tramaient, et s’exécutaient. J’ai bien voulu ne le pas faire par un reste de considération pour vous, mais aujourd’hui je vous déclare que, si sous quinze jours vous ne faites pas rentrer mes enfants dans leur devoir (je ne le puis, moi, puisqu’on me cache leur adresse), je vous réitère donc, monsieur, que, si sous quinze jours ils ne sont pas à Paris, et, comme leur père, armés pour la défense de la patrie, aucune considération ne m’arrête et je vous dénonce à l’instant à l’assemblée nationale et à toute la France comme l’instigateur de leur criminelle émigration. Je vous conseille de ne pas mépriser l’avis que je vous donne dans une lettre dont je prends acte, et dont je dépose la copie devant témoins en lieu sûr.

Ce 17 août 1792.


Copie de la lettre écrite à ma femme relativement au même objet.

J’ai écrit hier à M. votre père, madame, pour lui enjoindre d’avoir à faire revenir mes enfants sous quinze jours. Si je savais leur adresse et si l’on ne me la cachait pas, je me serais chargé de la commission moi-même. Du moment que l’on rend les parents responsables de l’émigration de ceux qui leur appartiennent et que l’on veut même les punir pour eux, vous devez bien sentir, madame, que je ne puis souffrir plus longtemps une telle conduite de la part de vos enfants que j’ai toujours blâmée, mais que je condamne décidément dans ce moment-ci. Je vous déclare donc que je vous ordonne de les faire revenir, je vous déclare que je prends publiquement acte de l’ordre que je vous donne à ce sujet et que, s’ils ne sont pas ici sous quinze jours, je vous dénonce, et vous, et votre famille, à l’assemblée nationale comme les instigateurs de l’émigration de mes enfants.

Il fallait assurément bien peu de politique pour ne pas voir que le parti que vous leur faisiez prendre était absurde et qu’il ne menait qu’à se perdre et qu’à se déshonorer. Était-ce d’ailleurs à vos enfants, s’ils avaient un peu mieux raisonné, à prendre le parti de parlements qui ont voulu flétrir leur père et de ministres qui l’ont fait enfermer ? Je voudrais bien savoir ce qu’ils font maintenant en Allemagne ? Servent-ils un prince dont ils n’auront jamais que de l’ingratitude et des mépris, servent-ils un roi traître et fourbe qui, par la plus insigne lâcheté, a trahi à la fois dans un même instant et le peuple qu’il avait juré de soutenir, et les amis qui venaient le défendre[6] ? Je les désavouerais tout à l’heure pour mes fils si je les croyais attachés à de pareils scélérats. Qu’ils rentrent, madame, qu’ils rentrent, qu’ils embrassent la cause de leur père. Je suis citoyen et patriote, moi, madame, et l’ai toujours été. Armé, comme mes frères, pour la défense de la patrie, et armé de cœur puisque je perdrais plutôt mille vies que de voir renaître en France le despotisme et la robinocratie, il ne convient pas à mes enfants de s’armer contre moi. S’ils ne sont pas, en un mot, sous quinze jours ici, je vous préviens, madame, que je les déshérite. Voilà une lettre pour eux que je vous prie de leur faire passer.

Paris, ce 18 août 1792. L’an 4 de la liberté.


Copie de la lettre à mes enfants relativement au même objet.

Mes enfants, vous savez que j’ai toujours blâmé le parti que vous avez pris et que c’est à l’instigation de la famille de votre mère que vous l’avez adopté. Il ne vous convenait pas d’embrasser une cause qui, si elle réussissait, n’aurait pour but que de rétablir en France des parlements qui ont voulu déshonorer votre père et des ministres qui l’ont fait enfermer. Je vous apprends d’ailleurs que je fais mon service dans ma section, que les circonstances peuvent nous placer en face l’un de l’autre et qu’il ne vous convient pas d’être armés contre votre père. Il y a plus : un décret de l’assemblée nationale rend les parents responsables de la conduite de leurs enfants et les place sous le glaive de la loi s’ils ne rentrent pas aussitôt. Je vous demande si vous devez rester plus longtemps dans une situation qui tient le fer levé sur le sein de ceux dont vous avez reçu la vie. Un dernier motif achèvera de vous déterminer. Vous servez un traître, un scélérat qui dans la journée du dix, à jamais célèbre dans l’histoire, a trahi à la fois, et le peuple sur lequel il a fait tirer, et les amis qui s’étaient rendus près de lui pour le défendre et auxquels il venait de jurer de mourir à leur tête. Il n’y a que des imbéciles qui puissent plus longtemps servir la cause d’un tel fourbe. En un mot, mes enfants, je vous ordonne de revenir à l’instant et vous menace de ma haine et de ma malédiction si vous tardez un seul jour à m’obéir.


Nous, soussignés, attestons que les trois lettres transcrites des autres parts et ci-dessus sont mot à mot conformes à celle que M. de Sade nous a lues et déclaré devoir envoyer au plus tôt aux personnes qui y sont désignées. Nous attestons aussi que les principes qui y sont exprimés sont ceux que nous lui avons toujours connus. En foi de quoi nous avons signé le présent pour servir et valoir ce que de raison. Paris, ce dix-huit août de l’an quatrième de la liberté et du premier de l’égalité.

Macarel,
employé à la confection des assignats,
rue de Cléry, au coin de celle de Montmartre, no 84.

Girouard[ws 1]
imprimeur-libraire, à Paris,
rue du Bout-du-Monde, no 47.

Le marquis adjure l’avocat de ne pas l’abandonner. (25 août 1792).

Ne m’accusez pas de ne point entrer dans votre position, mon cher avocat, je la sens et l’éprouve comme si j’y étais personnellement, mais, dans le cruel moment où nous sommes, l’excès des peines que chacun endure empêche d’être aussi sensible aux maux des autres que l’on le serait si l’on n’en éprouvait pas soi-même. Quelles que soient vos peines personnelles, daignez considérer que vous êtes chez vous, dans votre patrie, entouré d’amis et de secours, au lieu que moi je suis ici seul, absolument seul aujourd’hui. La journée du dix m’a tout enlevé, parents, amis, famille, protection, secours ; trois heures ont tout ravi d’autour de moi, je suis seul… Ma seule existence dépend de vous ; si vous me manquez, vous me réduisez ce qui s’appelle à aller mendier mon pain. Je ne l’irai pas chercher chez vous, puisque nous sommes enfermés dans Paris, et nous, parents d’émigrés, comme si c’était notre faute, sous la surveillance de la loi, défense de quitter Paris, et à la veille, peut-être, des plus grands malheurs !.. Voilà la situation où vous m’abandonnez, où vous me mandez froidement de m’adresser à d’autres. Vous sentez que votre lettre du quinze août, où sont exprimés ces cruels sentiments, vient exactement de me mettre le poignard dans le cœur. Je n’ai qu’un mot à répondre sur cela : j’invoque votre ancienne amitié ; j’invoque le seul sentiment d’humanité que vous auriez pour un inconnu. Envoyez-moi des secours sur le champ……


Le marquis, malade et sans le sol, demande à l’avocat de l’argent et des armes contre les calomnies de la Soton.

Nous voilà donc, mon cher avocat, au terme où mon quartier m’est indispensable, au terme où je ne sais exactement comment faire, faute de cet argent, et nous voilà, dis-je, à ce terme sans avoir reçu un sol de vous, ni d’aucun côté. Je vous écris celle-ci à la hâte pour vous conjurer de ne pas me laisser plus longtemps dans cette crise. Tous les malheurs me poursuivent à la fois. Je suis malade, je fais des remèdes, et nous sommes si tellement écrasés dans notre section que je n’ai pas même le temps de me guérir. Je suis à la fois aujourd’hui de garde aux Tuileries et de surveillance à la section, malade comme une bête et pas un sol……

Passons à votre seconde lettre sans date. Il s’agit de la Soton. Cette coquine continue ; avant-hier elle me fit passer une lettre de sa mère, remplie de menaces et d’horreurs. Cette lettre, inlisible par son style et par son caractère, laisse pourtant apercevoir qu’il s’agit de prétendues confidences à elle faites par Gothon et qu’elle veut révéler. Or ces confidences, comme vous le sentez, roulent sur toutes les calomnies inventées sur moi pendant les cinq années de la contumace. Envoyez-moi donc le plus tôt possible le certificat que je vous demande. Tâchez de plus de me faire signer celui-ci par le plus de personnes que vous pourrez, et au besoin cela fera tout tomber……


Le marquis conte à l’avocat les massacres de septembre.

……Dix mille prisonniers ont péri dans la journée du trois septembre. Rien n’égale l’horreur des massacres qui se sont commis, mais ils étaient justes[7]. La (ci-devant) princesse de Lamballe a été du nombre des victimes ; sa tête portée sur une pique a été offerte aux yeux du roi et de la reine et son malheureux corps traîné huit heures dans les rues après avoir été souillé, dit-on, de toutes les infamies de la plus féroce débauche ; tous les prêtres réfractaires égorgés dans les églises où l’on les tenait renfermés, parmi eux l’archevêque d’Arles, le plus vertueux et le plus respectable des hommes ; les barrières et les spectacles sont fermés, la ville illuminée tous les soirs, et Verdun pris à ce qu’on m’assure…… Ce 6.


Le marquis, avisé que Gaufridy a dû se réfugier à Lyon, lui offre derechef l’hospitalité. (13 septembre 1792).

Je ne saurais vous exprimer, mon cher avocat, le plaisir que m’a fait votre lettre. Votre départ précipité[8] m’avait mis dans la plus affreuse inquiétude…… Je ne saurais désapprouver votre démarche ; plus près du danger, sans doute vous ne l’avez faite qu’après avoir apprécié ce péril. Mais vous conviendrez cependant que de partir est toujours se donner l’apparence d’un tort, et toujours préparer un triomphe à ses ennemis…… Avez-vous au moins légitimé votre absence ? Cela était essentiel afin que, ne la croyant pas l’ouvrage de la peur ou de quelque tort, on ne se portât point à quelque vexation sur vos propriétés. Lyon est un bon asile, je le sais, mais si les Sardes se déclarent contre nous, comme on le dit, la certitude où l’on est qu’ils ont des intelligences sur leurs frontières fera tracasser Lyon. Pourquoi, dans cette supposition, ne vous rapprocheriez-vous pas de nous ? Je vais vous parler en ami, et en ami qui vous offre tout ce qu’il peut, et non ce qu’il ne peut pas, et je suis bien sûr que ce langage est celui qui convient à un honnête ami comme vous. Je vous offre chez moi une chambre assez grande pour y mettre deux lits ; ainsi vous y pourrez coucher avec M. votre fils. La chambre est meublée, mais sans lit ; je vous ferai avoir les deux lits à loyer pour fort bon compte ; je vous chaufferai et vous éclairerai ; je vous nourrirai, vous, et, dans la même maison, M. votre fils aura une pension de table à soixante francs par mois, ce qui mettra la totalité de votre dépense à environ quatre-vingts ou quatre-vingt-dix francs par mois. Je suis bien sûr qu’il vous en coûte davantage à Lyon. Votre retour ne vous coûtera rien ; vous m’attendrez, nous partirons tous ensemble au mois d’avril……

Dispensez-vous donc de compliments à la fin de vos lettres, je vous en conjure, ainsi que de signer. Vous voyez comme je fais, imitez-moi ; je vous le demande en grâce. Aimez-moi autant que je vous aime ; portez-vous bien, et écrivez-moi. C’est tout ce qu’il faut à ma tranquillité et à ma félicité……





  1. Ah ! quelle peste d’homme est-ce là !
  2. De Charenton.
  3. Gaufridy était affilié à la conjuration royaliste, alors en voie d’organisation, dont Auguste Monier de la Quarrée a été l’âme. On consultera avec profit sur M. de la Quarrée et les troubles de la région du Sud-Est l’ouvrage remarquablement documenté de M. Jean Barruol : « La Contre-Révolution en Provence et dans le Comtat ».
  4. Jouve, dit : Lamotte, dit : Jourdan-Coupe-Tête. Arrêté après la découverte du charnier de la Tour de la Glacière, à Avignon, par les commissaires de l’Assemblée législative, le « vainqueur » de Sarrians fut acquitté, puis nommé capitaine de gendarmerie. Il devait être guillotiné, par la suite, comme modéré !
  5. L’épitaphe de Laure : « En petit lieu compris vous pouvez voir… »
  6. Allusion au départ du roi pour l’assemblée pendant la journée du dix août.
  7. Les mots « mais ils étaient justes » ont été ajoutés entre les lignes. Le nombre des victimes de septembre a été de onze cents environ, en quatre jours.
  8. Gaufridy et son fils s’étaient enfuis avec dix autres conjurés d’Apt (au nombre desquels son confrère Fage) lors de l’arrivée des troupes envoyées pour briser la conjuration du Sud-Est, après l’arrestation de Monier de la Quarrée à Grenoble. (Jean Barruol. La Contre-Révolution en Provence et dans le Comtat.)


Note de wikisource
  1. Il s’agit de Jacques Girouard (1757?-1794), qui imprima l’Adresse d’un citoyen de Paris, au roi des Franc̜ais et dont la veuve imprima notamment Aline et Valcour, et probablement d’autres ouvrages de Sade (comme par exemple Justine, soi-disant imprimé en hollande, mais dont on reconnaît le style et les caractères de cet imprimeur).