Correspondance inédite de Hector Berlioz/076

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 227-229).
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LXXVI.

À M. AUGUSTE MOREL.


Paris, 2 juin 1855.

Excusez-moi de ne vous avoir pas encore répondu. Vous connaissez la vie de Paris et pourtant je doute que vous vous fassiez une idée de celle que j’ai menée depuis un mois. Enfin, me voilà un peu plus libre, je n’ai que des épreuves à corriger du matin au soir, des courses à faire chez les graveurs et imprimeurs, etc., etc. ; on grave à la fois l’Enfance du Christ, grande et petite partition ; le Te Deum, grande partition, le monodrame du Retour à la vie, grande et petite partition. Quant au Te Deum, c’est moi qui le publie en société avec Jemmy Brandus ; et, si le Conservatoire de Marseille peut m’en prendre un exemplaire, je me recommande à lui. Le prix de la souscription est de quarante francs. Parlez donc de cela à Lecourt. Bennet[1] prétend que je pourrai trouver cinq ou six souscripteurs à Marseille. Laval m’a dit vous avoir envoyé les dernières épreuves de votre quatuor ; avez-vous fini ? ai-je quelque chose à dire chez Brandus à ce sujet ? Je vous remercie mille fois de votre affectueuse sollicitude pour Louis. Il a en effet dû laisser partir le Fleurus et il est en ce moment en convalescence à l’hôpital de Saint-Mandrier à Toulon. Vous me demandez de vous parler du Te Deum ; c’est très difficile à moi. Je vous dirai seulement que l’effet produit sur moi par cet ouvrage a été énorme et qu’il en a été de même pour mes exécutants. En général, la grandeur démesurée du plan et du style les a prodigieusement frappés, et vous pouvez croire que le Tibi omnes et le Judex, dans deux genres différents, sont des morceaux babyloniens, ninivites, qu’on trouvera bien plus puissants encore, quand on les entendra dans une salle moins grande et moins sonore que l’église Saint-Eustache. Je pars vendredi pour l’Angleterre. Wagner, qui dirige à Londres l’ancienne Société philharmonique (direction que j’avais été obligé de refuser étant déjà engagé par l’autre), succombe sous les attaques de toute la presse anglaise. Mais il reste calme, dit-on, assuré qu’il est d’être le maître du monde musical dans cinquante ans.

Verdi est aussi aux prises avec tous les gens de l’Opéra. Il leur a fait hier une scène terrible à la répétition générale.

Le pauvre homme me fait mal ; je me mets à sa place. Verdi est un digne et honorable artiste. Rossini est arrivé ; il blaguotte tous les soirs sur le boulevard. Il a l’air d’un vieux satyre en retraite.

  1. Le père de l’excellent pianiste, Théodore Ritter et de mademoiselle Cécile Ritter ; la famille Bennet est d’origine marseillaise.