Correspondance inédite de Hector Berlioz/058

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 195-196).
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LVIII.

AU MÊME.


Londres, samedi 12 juin [1852].

Mon cher ami, je ne t’écris que trois lignes pour te dire que notre dernier concert a eu lieu mercredi dernier avec un succès extravagant, une foule immense et une grosse recette. J’ai été rappelé quatre ou cinq fois. Deux morceaux de Faust ont été bissés avec des cris et des trépignements ; les journaux anglais déclarent qu’on n’a pas d’exemple à Londres d’un succès musical de cette violence. Enfin, c’est mirobolant. Après le chœur des Sylphes, on m’a jeté une couronne ; il y a donc à ce succès lauriers, comme disent les guerriers, chênes et toutes les herbes de la Saint-Jean. Je voulais partir hier et ensuite demain. Et je reste encore quelques jours pourtant, à moins que je ne me débarrasse plus tôt que je ne l’espère des dernières affaires, visites, dîners, lettres de remerciements, etc., etc.

Pourtant ce séjour prolongé m’inquiète sous le rapport financier. J’ai tant de loyers à payer à Paris, les dépenses de mon fils qui s’y trouve maintenant, etc., que le luxe d’habiter Londres quand je n’y ai plus rien à faire m’écraserait. À vrai dire, ce n’est pas tout à fait du luxe ; car il m’est, au fond, désavantageux de quitter l’Angleterre au moment où j’aurais tant de choses à y voir venir.

Un amateur naïf de Birmingham qui regrettait dernièrement de n’avoir pas pu m’engager cette année pour diriger le festival de sa province, disait :

— C’est bien malheureux pour nous, car il paraît que M. Berlioz est encore supérieur à M. Costa.

Je vais bien regretter mon magnifique orchestre, et le chœur. Quelles belles voix de femmes ! J’aurais voulu que tu entendisses la symphonie avec chœurs de Beethoven que nous avons donnée pour la seconde fois mercredi dernier !… Vraiment, l’ensemble de tout cela dans cette salle immense d’Exeter Hall était grandiose et imposant.

Je vais maintenant bientôt oublier à Paris toutes ces joies musicales pour reprendre ma stupide tâche de critique, la seule qui me soit laissée à remplir dans notre cher pays.

Je vais, je crois, terminer ici demain un arrangement pour la publication en anglais de mon livre. C’est Mitchell qui s’en chargera…

Madame Moulin m’annonce une commission pour toi ; je m’en chargerai. C’est d’un paletot qu’il s’agit et je l’endosserai pour que la douane n’ait rien à y voir.