Correspondance inédite de Hector Berlioz/057

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 193-195).
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LVII.

AU MÊME.


Londres, 22 mai 1852

Mon cher d’Ortigue,

Je te prie d’excuser mon retard à te répondre. J’ai été tout à fait absorbé ces jours-ci par la terminaison de mon livre. Il est fini et je le lime, frotte et regratte en ce moment.

Je n’ai rien écrit à M. Bertin ; tu ne m’as pas demandé de lettre pour lui ; au contraire, ta recommandation expresse était de ne lui point parler de l’affaire d’argent. Je ne doutais pas qu’elle ne se terminât comme nous l’espérions tous les deux.

Tu me parles des frais de nos concerts ici ; ils sont énormes, en effet, et les entrepreneurs perdent comme tous ceux de toutes les institutions musicales de Londres, cette année. Mais ils savaient d’avance qu’il en serait ainsi, et ils en font si peu un mystère, que, dans le programme du dernier concert, Beale a fait part au public (cependant n’en dis rien aux Français) de la dépense occasionnée par les répétitions de la symphonie avec chœurs de Beethoven, dépense qui a absorbé plus d’un tiers de la souscription (abonnement).

Néanmoins, il considère ces frais comme des frais de premier établissement et son intention est toujours de continuer l’an prochain, en se débarrassant toutefois d’un individu intéressé dans l’entreprise et qui nous gêne. Je te dirai cela en détail à mon retour.

La symphonie avec chœurs qui n’avait jamais pu bien marcher ici, a produit un effet miraculeux, et j’ai eu un succès de conducteur très grand. On m’a rappelé après la première partie du concert. C’était un tel événement que bien des gens doutaient que nous vinssions à bout à notre honneur de cette œuvre terrible et merveilleuse. Dans la même soirée, mademoiselle Clauss a joué le concerto en sol mineur de Mendelssohn avec une pureté de style, une expression et un fini admirables. Cette enfant est maintenant considérée à Londres comme la première pianiste musicienne de l’époque, en dépit des intrigues de… Ne manque pas de parler de mademoiselle Clauss et de la symphonie de Beethoven dans ton prochain feuilleton.

Je te remercie mille fois de tes démarches auprès des libraires. Si tu en as le temps, essaye encore auprès de quelque autre. Et, en passant, revois Amyot pour lui dire que je lui répondrai à mon retour et lui demander s’il consentirait à faire des illustrations pour mon livre. Il y a une foule de sujets de dessins, vignettes, etc., qui donneraient à l’œuvre beaucoup de piquant. Sache aussi de lui combien d’exemplaires il me donnerait et à combien il tirerait la première édition si je me voyais obligé de la lui céder pour rien.

Je n’ai pas compris ta phrase : « Gounod, par déférence pour son futur beau-père, a cru devoir parer les coups portés à l’école romantique ». En quoi cette école concerne-t-elle Zimmermann ? et comment Gounod a-t-il besoin de considérations étrangères pour la défendre ?…

Écris-moi dès que tu le pourras. Je vais commencer les répétitions de notre cinquième concert où je n’aurai qu’une ouverture. Au sixième, on jouera les deux premiers actes de Faust.

Mille amitiés.