Correspondance inédite de Hector Berlioz/015

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 103-105).
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XV.

À M. FERDINAND HILLER.


La Côte, ce 7 août 1832.

Qu’il a un drôle d’esprit, piquant, agaçant, coquet, cet Hiller ! Si nous étions tous les deux femmes, avec la manière de sentir que nous avons, je la détesterais ; si lui seulement était femme, je la haïrais avec crispation, tant j’abhorre les coquettes. La Providence a donc tout fait pour le mieux, comme disent les jobards, en nous jetant tous les deux sur le globe, armés du sexe masculin.

Non, mon cher mauvais plaisant, vous n’avez pas pu faire autrement que de me faire attendre deux mois votre réponse ; mais je ne puis pas non plus faire autrement que de vous en vouloir, et d’avoir perdu radicalement la confiance dans vos promesses de ce genre. Comme je ne m’en fâche pas beaucoup ou, du moins, comme je n’y mets pas beaucoup d’amour-propre, je vous avais écrit une seconde lettre de Grenoble ; mais, six heures après, réfléchissant à ce qu’elle contenait, je l’ai brûlée. « Il y a des choses, disait Napoléon, qu’il ne faut jamais dire ; à plus forte raison, faut-il se garder de les écrire. » Oh ! Napoléon ! Napoléon !… Allons, voilà la poche de l’enthousiasme qui va crever… Pour empêcher ce malheur, je vais, au lieu de vous parler de lui, de ses ouvrages en Lombardie, de ses traces sublimes que j’ai suivies jusqu’aux Alpes en revenant en France, je vais vous parler de trois grosses fautes de français que contient votre lettre !! Oh !!!… Puisque vous apprenez le latin, je vais me faire pédagogue. 1º Il ne faut point d’accent sur negre ; 2º vous dites que je trouve ici « des grands amusements » : il faut de grands amusements ; 3º « Il est possible que Mendelssohn l’aura » : — que Mendelssohn l’ait.

Profitez de cette leçon.

Ouf !

Je suis, en effet, avec ma famille, mais je n’ai que ma sœur cadette qui m’adore, et je me laisse adorer d’une manière fort édifiante… Oh ! quand je retournerai en Italie !!! — Voyez-vous, mon cher, il me faut de la liberté, de l’amour et de l’argent. Nous trouverons cela plus tard, en y ajoutant même un petit objet de luxe, de ces superflus qui sont nécessaires à certaines organisations, la Vengeance, générale et privée. On ne vit et ne meurt qu’une fois.

Pendant que je suis en province, isolé de mes agitations ordinaires, seul avec ma pensée, qui se retourne dans tous les sens comme un porc-épic en me blessant de ses dards aigus, mes idées se fixent, se consolident par l’étude des profonds ouvrages de Locke, Cabanis, Gall et autres ; ce n’est pas qu’ils m’apprennent autre chose que des détails techniques, car je m’aperçois bien souvent que je suis plus avancé qu’eux, et qu’ils n’osent pas suivre leur marche dans les conséquences de leurs principes, par crainte de l’opinion. L’opinion, cette reine du monde !… mais il n’y a plus de rois ni de reines, il y a eu un tremblement de trônes (dit Lamartine) qui les a tous renversés.

Je copie toute la journée les parties de mon Mélologue ; depuis deux mois, je ne fais pas autre chose, et j’en ai encore pour soixante-deux jours ; vous voyez que j’ai de la patience. Il en faut pour tout, non pas pour supporter chiennement les maux, mais pour agir. Le besoin de musique me rend souvent malade ; il me donne des tremblements nerveux ; puis nous avons aussi l’influence cholérique qui m’a retenu quelques jours au lit ; j’en suis libre aujourd’hui, prêt à recommencer. Je vais aller voir F… ; nous ne nous sommes pas vus depuis cinq ans. Les extrêmes se touchent, comme vous voyez. Il est plus religieux que jamais, il a épousé une femme qui l’adorait, et il adore ferme aussi, lui. Quelle drôle de chose que cette adoration, et elle est vive et sincère :