Correspondance inédite de Hector Berlioz/008

Texte établi par Daniel Bernard, Calmann Lévy, éditeur (p. 75-86).
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VIII.

À MM. GOUNET, GIRARD, HILLER, DESMAREST, RICHARD, SICHEL.


Nizza, le 6 mai 1831.

Allons Gounet[1], lisez-nous cela.

D’abord je vous embrasse tous ; je me réjouis de vous revoir encore, de me retrouver auprès d’amis dont l’affection m’est si chère, de parler ensemble musique, enthousiasme, génie, poésie enfin. Je suis sauvé, je commence à m’apercevoir que je renais meilleur que je n’étais, je n’ai même plus de rage dans l’âme… Comme je ne vous ai pas écrit depuis mon départ de la France, il faut que je vous conte mon voyage.

Je me suis embarqué à Marseille sur un brick sarde, faisant voile pour Livourne. Ce trajet se fait ordinairement en cinq jours avec un temps passable, et nous en avons mis onze. Pendant la première semaine, nous étions accablés de calmes plats qui duraient tous les jours jusqu’au coucher du soleil ; ce n’était que pendant la nuit que nous avancions un peu. Ne sachant comment nous désennuyer, nous avions imaginé de tirer au pistolet sur le pont. La cible était un biscuit fiché au bout d’un bâton qu’on avait attaché à la poupe, et que l’oscillation du navire rendait très difficile à atteindre. Tel était notre passe temps. Mes compagnons de voyage étaient des militaires italiens, accourant à Modène prendre part à la révolution qui venait d’y éclater. Arrivés dans la rivière de Gênes, un vent furieux des Alpes nous a assaillis tout à coup ; les vagues entraient par les écoutilles et couvraient le pont à tout instant. Bon ! disais-je, cela manquait, il serait bien dommage que je n’eusse pas aussi mon petit bout de tempête ; ce sera charmant !… Mais le charme est devenu un peu fort, comme vous allez voir.

Le capitaine, voulant regagner le temps perdu, avait laissé toutes les voiles étendues, et le vaisseau, pris en flanc par le vent, penchait horriblement sur le côté. Le soir, comme j’étais dans la chambre, à essayer de dormir, j’entends la voix d’un de nos passagers qui criait aux matelots : Coraggio, corpo di Dio ! sara niente. « Diable, dis-je, il paraît au contraire que c’est beaucoup. » Je m’enveloppe alors dans mon manteau, et je monte sur le pont, suivi de quatre officiers épouvantés de ce que nous venions d’entendre.

J’avoue qu’il est difficile de s’imaginer un pareil spectacle et que, malgré le peu de cas que je faisais alors de la vie, le cœur commença à me battre d’une terrible manière. Figurez-vous le vent rugissant avec une furie dont on ne peut avoir d’idée à terre, les vagues enlevées de la mer, lancées en l’air, d’où elles retombaient en poussière, le vaisseau tellement penché que son bord droit était en entier dans l’eau, et, avec cela, quatorze voiles immenses étendues, où le vent s’engouffrait de plein vol. Le passager que nous avions entendu crier tout à l’heure était un capitaine-corsaire vénitien, et même, ce qui est curieux, il avait été le capitaine de la corvette que lord Byron fit armer à ses frais pour parcourir l’Archipel ; c’est ce qu’on appelle un crâne. Au bout de quelques minutes, le vent augmentant encore de rage, je l’entends qui dit en français : « Ce b…-là va nous faire sombrer avec toutes les voiles. » Alors je vis qu’il fallait prendre son parti, et le cœur cessa de me battre plus vite qu’à l’ordinaire. Je regardai tout à coup avec la plus grande indifférence ces vallées blanches ouvertes devant moi, où j’allais sans doute être bercé pour mon dernier sommeil ; le pont était tellement incliné, qu’il était impossible de s’y tenir debout ; j’étais cramponné à un morceau de fer de tribord et entortillé dans mon manteau, de manière à ne pouvoir remuer les membres ; j’avais pensé m’épargner une longue agonie en m’empêchant de nager, et j’espérais couler bas comme une pièce de canon.

Enfin, le danger devenant de plus en plus imminent, notre corsaire vénitien prend sur lui de commander la manœuvre : Tutti, tutti, al perrochetto, s’écria-t-il, prestissimo al perrochetto ; ecco la borresca. Les matelots lui obéissent ; mais, pendant qu’ils se précipitent sur le grand mât pour carguer les voiles, un dernier effort du vent nous couche presque entièrement sur le côté. Alors la scène est devenue sublime d’horreur ; tous les meubles qui garnissaient l’intérieur du navire, les armoires, les tables, les chaises, les ustensiles de cuisine s’écroulent avec un fracas épouvantable ; sur le pont, les tonneaux roulent les uns sur les autres, l’eau entre par torrents, le vaisseau craque comme une vieille coquille de noix, le pilote tombe et lâche le gouvernail ; enfin nous sombrons. Mais nos matelots intrépides n’en continuaient pas moins au haut de la vergue à plier précipitamment les voiles, et il s’est trouvé que la plus grande était carguée justement dans l’instant où le vaisseau revenait un peu sur lui-même, ce qui a rendu la seconde oscillation moins basse ; le gouvernail lâché par le pilote a permis au vaisseau de tourner et de se présenter au vent dans sa longueur ; ce court instant a suffi pour nous tirer d’affaire.

Alors il a fallu courir à la pompe, c’étaient des cris à devenir fou ; ensuite, pour compléter la détresse, la lanterne de la chambre s’était cassée et, en tombant sur des ballots de laine, y avait mis le feu. En voyant la fumée sortir par l’escalier, on s’en est aperçu ; l’enfer n’est pas pire qu’un pareil moment. Heureusement pour moi, je n’ai pas le mal de mer, mais il fallait voir ces pauvres passagers se vomissant les uns sur les autres, tombant dans l’escalier, sur le pont, saisis de vertiges affreux ; cela faisait mal. Le navire une fois remis, nous avons cheminé avec une seule voile et sans la moindre inquiétude, malgré la force de l’orage et l’inclinaison du vaisseau. C’était alors un autre concert, le vent sifflant dans les cordages nus, dans les poulies et les haubans, ricanait, grinçait comme un orchestre de petites flûtes ; mais le matelot qui était à côté de moi disait : Oh ! adesso, mi futto del vento ! et, en effet, nous sommes arrivés le matin même à Livourne, sans accident. Oh ! quelle nuit ! et la lune qui nous regardait en courant à travers les nuages, avec une physionomie toute décomposée ! elle semblait pressée d’arriver quelque part et ennuyée de nous trouver sur son passage.

Arrivé à Rome, j’ai trouvé que les bruits qu’on avait répandus à Florence sur les dangers que courait l’Académie étaient un peu exagérés, mais fondés. Les Transteverini, supposant les Français partisans de la révolution et hostiles au pape, voulaient tout simplement mettre le feu à l’Académie et nous égorger tous. Ils étaient déjà venus plusieurs fois examiner les avenues du jardin, et madame Horace en avait rencontré un dans une allée, qui l’avait menacée d’un long couteau qu’il montrait sous son manteau. Aussi notre directeur avait-il armé tout le monde de fusils à deux coups, pistolets, etc… Pourtant il n’est rien résulté de tout cela qu’une tarentelle que les Transteverini ont composée sur la mort prochaine des Français, et qu’ils venaient chanter sous nos fenêtres. Tous les camarades qui m’attendaient m’ont reçu avec la cordialité la plus franche ; il m’a fallu quatre ou cinq jours pour retenir les noms de chacun, et, comme on se tutoie, j’étais obligé de dire à tout instant à quelqu’un : « Comment t’appelles-tu donc, toi ? »

De M. Horace et de sa famille j’ai reçu un très-bon accueil ; mais, quand le vieux Carle Vernet a su que j’admirais Gluck, il n’a plus voulu me quitter : « C’est que, voyez-vous, me disait-il, M. Despréaux prétendait que tout cela était rococo, et que Gluck était perruque. »

J’ai trouvé Mendelssohn ; Monfort le connaissait déjà, nous avons été bien vite ensemble. C’est un garçon admirable, son talent d’exécution est aussi grand que son génie musical, et vraiment c’est beaucoup dire. Tout ce que j’ai entendu de lui m’a ravi ; je crois fermement que c’est une des capacités musicales les plus hautes de l’époque. C’est lui qui a été mon cicerone ; tous les matins, j’allais le trouver il me jouait une sonate de Beethoven, nous chantions Armide de Gluck, puis il me conduisait voir toutes les fameuses ruines qui me frappaient, je l’avoue, très-peu. Mendelssohn est une de ces âmes candides comme on en voit si rarement ; il croit fermement à sa religion luthérienne, et je le scandalisais quelquefois beaucoup en riant de la Bible. Il m’a procuré les seuls instants supportables dont j’aie joui pendant mon séjour à Rome. L’inquiétude me dévorait, je ne recevais point de lettre de ma fidèle fiancée, et sans M. Horace, je serais parti au bout de trois jours, tant j’étais désespéré de n’avoir point trouvé de ses nouvelles à mon arrivée. À la fin du mois, n’en recevant pas davantage, je suis parti le vendredi saint, abandonnant ma pension pour aller savoir à Paris ce qui s’y passait. Mendelssohn ne voulait pas croire que je partisse réellement, il paria avec moi un dîner pour trois que je ne partirais pas, et nous le mangeâmes avec Monfort le mercredi saint, quand il vit que M. Horace m’avait payé mon voyage et que j’avais retenu ma voiture.

À Florence, le mal de gorge m’a pris ; je me suis arrêté ; il m’a fallu attendre de pouvoir me remettre en route ; alors j’ai écrit à Pixis pour qu’il me dise au plus vite ce qu’il y avait au faubourg Montmartre ; il ne m’a pas répondu ; je lui mandais que j’attendais sa lettre à Florence, et effectivement je l’ai attendue jusqu’au jour où j’ai reçu l’admirable lettre de madame X… Il m’est impossible de dépeindre ce que j’éprouvais dans mon isolement, de fureur, de rage, de haine et d’amour combinés. J’étais tout à fait rétabli ; je passais des journées sur le bord de l’Arno, dans un bois délicieux à une lieue de Florence, à lire Shakspeare. C’est là que j’ai lu pour la première fois le Roi Lear et que j’ai poussé des cris d’admiration devant cette œuvre de génie ; j’ai cru crever d’enthousiasme, je me roulais (dans l’herbe à la vérité), mais je me roulais convulsivement pour satisfaire mes transports. L’ennui est revenu au bout de quelques jours ; je me rongeais le cœur, et mes pensées qui ne se sont trouvées que trop justes, me poursuivaient impitoyablement. Un soir, la cathédrale étant ouverte, j’y suis entré ; comme je rêvais assis dans un coin de la nef, je vis sortir de la sacristie une longue file de pénitents blancs, de prêtres, d’enfants de chœur portant des flambeaux avec la croix. Je demandai à un homme ce que c’était ; il me répondit : Una sposina morta el mezzo giorno. Je suivis le convoi, mon sang commençait à circuler, je pressentais des sensations. La jeune femme était morte dans une superbe maison voisine, appartenant à son mari, riche Florentin qui l’adorait. Une foule immense était assemblée devant la porte pour voir enlever le catafalque. On avait distribué un grand nombre de cierges qui répandaient dans les rues obscures la plus étrange clarté. Arrivés à l’église, les prêtres font leur office, et nous abandonnent ensuite le cadavre. Il faisait tout à fait nuit ; les porteurs du catafalque l’ont découvert, et j’ai vu un enfant nouveau-né qu’ils tiraient d’une petite bière, et qu’ils mettaient dans la plus grande où était sa mère. J’ai reconnu alors que la sposina était morte en couches et qu’on allait l’enterrer avec son enfant. J’ai voulu voir ce que cela deviendrait et la fantaisie m’a pris de suivre les porteurs au cimetière. Après un long trajet, durant lequel la foule des curieux s’était complétement éloignée, je suis arrivé près d’une porte éloignée de Florence ; mais, au lieu d’aller au cimetière, le convoi s’est arrêté à une espèce de morgue où on dépose les morts jusqu’à deux heures du matin, où un tombereau vient les chercher pour aller en terre. Un des chantres, s’approchant de moi, me dit en français : « Voulez-vous entrer ?… — Oui. » Et, en effet, me plaçant à côté de lui, pour un paolo (12 sous), il parle à l’oreille du gardien de la morgue et on me laisse entrer. Ils ont tiré de la bière la pauvre sposina et l’ont déposée sur une des tables de bois qui garnissaient cette espèce de caveau. « Voyez, monsieur, me disait mon chantre avec une espèce de joie, toutes ces tables, eh bien, il y a des jours où c’est tout plein, tout plein ! et puis, à deux heures de nuit, la voiture vient et emporte tout ! — Mais faites-moi donc voir cette dame ! » Il l’a découverte aussitôt. Oh ! Dieu ! elle était charmante ! Vingt-deux ans, elle avait une belle robe de percale nouée au-dessous de ses pieds, ses cheveux n’étaient pas encore trop dérangés. Sans doute elle était morte d’un dépôt dans le cerveau, une eau jaunâtre lui coulait des narines et de la bouche ; je lui ai fait essuyer la figure ; puis ce brutal lui a laissé retomber la tête tout d’un coup, avec un bruit sourd qui a ému toutes les tables. Je lui ai pris la main, elle avait une main ravissante, blanche ; je ne pouvais la quitter. Son enfant était laid, il me faisait mal au cœur. Pour un paolo j’ai touché la main de cette belle, pendant que son mari se désespérait ; si j’avais été seul, je l’aurais embrassée ; je pensais à Ophelia. Pour un paolo !… et, bien sûr, à deux heures, quand le voiturier vient chercher sa proie, le Caron florentin fait payer aux morts leur passage : il ne lui aura pas laissé sa belle robe ; il l’aura dépouillée ; je pensais cela pendant que je lui tenais la main pour un paolo !

Mais c’était une bénédiction vraiment, car le lendemain j’ai assisté au service funèbre du jeune Napoléon Bonaparte, fils de la reine Hortense et neveu de l’autre Napoléon. Il venait de mourir à point nommé. Une condamnation capitale pesait sur lui comme révolutionnaire, elle allait l’atteindre, la mort a été plus prompte. Pendant ce temps, son frère et sa mère fuyaient en Amérique !… Pauvre Hortense ! quelles vicissitudes ! Il y a quarante ans, elle venait de Saint-Domingue avec sa mère Joséphine, qui n’était alors que madame Beauharnais ; joyeuse créole, elle dansait la danse des nègres sur le vaisseau, et chantait aux matelots des chansons caraïbes ; aujourd’hui, elle repasse l’Océan pour soustraire un de ses fils à la hache des réactions ; elle laisse son mari à Florence, et voilà la fille adoptive du plus grand homme des temps modernes, fugitive de l’Europe, exilée de la France, dont elle s’était fait chérir, reine sans États ni couronne, mère désolée, orpheline, à peu près veuve, oubliée, abandonnée…

Toutes ces idées me saisissaient au cœur en entrant dans l’église. C’était bien, il me semble, un sujet d’inspiration pour l’organiste ; mais cet homme n’est pas un homme ! Il avait tiré le registre des petites flûtes et jouait de petits airs gais qui ressemblaient assez au gazouillement des roitelets dans les beaux jours d’hiver.

O Italiens, misérables que vous êtes, singes, orangs-outangs, pantins toujours ricanants, qui faites des opéras comme ceux de Bellini, de Pacini, de Rossini, de Vaccaï, de Mercadante, qui jouez des airs gais aux funérailles du neveu du grand homme, et qui, pour un paolo… !

C’est deux jours après et dans une telle disposition d’esprit que j’ai reçu la lettre de madame X…, la lettre où elle m’annonçait que sa fille se mariait !… Cette lettre est un modèle incroyable d’impudence ! Il faut la voir pour le croire. Hiller sait mieux que personne comment toute cette affaire avait commencé ; et moi je sais que je suis parti de Paris, portant au doigt son anneau de fiancée donné en échange du mien ; on m’appelait : « Mon gendre », etc.,… et, dans cette lettre étonnante, madame X… me dit qu’elle n’a jamais consenti à la demande que je lui avais faite de la main de sa fille ; elle m’engage beaucoup à ne pas me tuer, la bonne âme !

Oh ! si je m’étais trouvé seulement de cent cinquante lieues plus près ! Mais, brisons là ; ce que j’ai fait et ce que j’ai voulu faire n’est pas de nature à pouvoir être confié au papier. Seulement, je vous dirai que je me trouve ici, à Nice, par suite de cette abominable, lâche, perfide et dégoûtante ignoblerie. J’y suis depuis onze jours, et j’y reste à cause de la proximité de la France et du besoin impérieux que j’éprouve de correspondre rapidement avec ma famille. Mes sœurs m’écrivent tous les deux jours ; leur indignation et celle de mes parents est au comble.

Me voilà rétabli, je mange comme à l’ordinaire ; j’ai demeuré longtemps sans pouvoir avaler autre chose que des oranges. Enfin, je suis sauvé, ils sont sauvés ; je reviens à la vie avec délices, je me jette dans les bras de la musique et sens plus vivement que jamais le bonheur d’avoir des amis. Je vous prie tous, Richard, Gounet, Girard, Desmarest, Hiller, écrivez-moi chacun isolément une lettre. Je ne passe pas la frontière ; Vernet m’a rappelé hier qu’il était encore temps et que ma pension n’était pas perdue. Je lui ai écrit que je m’engageais sur l’honneur à ne pas sortir d’Italie ; j’ai profité d’un bon moment pour me lier ainsi. J’avais de bonnes raisons pour le faire.

Gounet, mademoiselle Vernet a chanté vos mélodies, et a trouvé que la poésie en était pleine de grâce et de fraîcheur.

Le théâtre allemand est-il ouvert ? et Paganini ?… et Euryanthe ?… Ce misérable Castil-Blaze a encore mutilé cette partition en lui ajoutant des membres étrangers. Et la Symphonie avec chœurs de Beethoven, parlez-moi donc de tout cela.

Girard, allez-vous monter Iphigénie en Aulide ?… Oh ! à propos, je vous prie de me pardonner, j’ai perdu votre lettre pour une dame romaine ; j’espère qu’elle n’était pas importante. Desmarest, que fait-on à l’Opéra ?… Hiller, votre concert ne s’est donc pas donné ?… Et toi, Richard, comment se fait-il que j’aie vu dans les journaux Loëve-Weimar cité comme traducteur de la Symphonie de Beethoven ?… Cela me confond. Dites-moi, Gounet, Auguste le nouveau marié est-il heureux en ménage ?… Mon cher Sichel, les malades donnent-ils ?…

J’ai un appartement délicieux dont les fenêtres donnent sur la mer. Je suis tout accoutumé au continuel râlement des vagues ; le matin, quand j’ouvre ma fenêtre, c’est superbe de voir ces crêtes accourir comme la crinière ondoyante d’une troupe de chevaux blancs. Je m’endors au bruit de l’artillerie des ondes, battant en brèche le rocher sur lequel est bâtie ma maison.

Nice, par sa position, est une petite ville vraiment charmante ; fraîches et rosées sont la mer et les montagnes. Je fais quelquefois, au risque de me rompre les membres, des excursions dans les rochers ; j’ai découvert l’autre jour les ruines d’une tour bâtie sur le bord du précipice ; il y a une petite place devant, je m’y étends au soleil et je vois arriver au large de lointains vaisseaux, je compte les barques de pêcheurs et j’admire ces petits sentiers rayonnants et dorés, qui (à ce que dit M. Moore) doivent conduire à quelque île « heureuse et paisible ». C’est, parbleu ! en nature le sujet de la lithographie de nos mélodies ; Gounet, c’est tout à fait cela. À propos de lithographie, ils ont fait mon portrait à Rome ; il ne vaut rien ; mais un sculpteur a fait ma médaille, et fort ressemblante, en plâtre de demi-grandeur.

Allons, en voilà assez, je pense. J’attends vos lettres au plus tôt. Je demeure : H. B., chez madame veuve Pical, maison Cherici, consul de Naples, aux Ponchettes, Nice-Maritime.

Adieu tous ! adieu mille fois !

Votre affectionné et sincère ami.

P.-S. — Mille choses à Pixis, à Sina, à Schlesinger, à Séghers, à M. Habeneck, à Turbri, à Urhan.

J’ai presque terminé l’ouverture du Roi Lear ; je n’ai plus que l’instrumentation à achever. Je vais beaucoup travailler.

  1. M. Gounet est le poëte qui a traduit en vers français les paroles de Thomas Moore sur lesquelles Berlioz a écrit de la musique.