Correspondance de Voltaire/1777/Lettre 9982

Correspondance de Voltaire/1777
Correspondance : année 1777GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 50 (p. 213-214).

9982. — À M. MARMONTEL.
8 avril.

L’accident qui m’est arrivé, mon cher ami, ne m’a pas tellement afflaibli que je n’aie été en état de faire le voyage du Mexique et du Pérou. Je l’ai fait dans votre beau vaisseau[1], et je ne saurais assez vous en témoigner ma reconnaissance.

Je n’entends point dire que la Sorbonne ait pris le parti du révérend père inquisiteur qui lut en latin cette bulle du pape à l’inca Atabalipa, et qui fit pendre et brûler sur-le-champ notre inca pour n’avoir pas entendu la langue latine ; mais j’apprends que messieurs du Châtelet soutiennent bien mieux notre sainte religion que messieurs les sorboniqueurs. On me mande qu’ils ont condamné au bannissement perpétuel ce pauvre Delisle de Sales, auteur de six volumes sur la nature, dans lesquels il a mis tout ce qu’il a jamais lu. Cette abomination est révoltante ; elle est du xive siècle. On prétend même que le parlement en est indigné, et qu’il va réformer la sentence du Châtelet.

Auriez-vous lu cette Philosophie de la Nature ? Je vois que toute philosophie court de grands risques. C’est un méchant métier que celui d’instruire les hommes : ceux qui les trompent et qui les volent sont plus adroits que nous ; ils sont mieux récompensés ; et ni vous ni moi ne voudrions pourtant être à leur place.

Adieu, mon cher confrère, mon cher ami ; je vous avoue que je suis fâché de mourir sans vous avoir revu.

  1. Le roman des Incas, par Marmontel.