Correspondance de Voltaire/1774/Lettre 9061

Correspondance de Voltaire/1774
Correspondance : année 1774GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 577-578).
9061. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
7 mars.

L’octogénaire de Ferney est malade, et ne peut écrire de sa main ; le jeune Wagnière est malade, et ne peut prêter sa main à l’octogénaire : il emprunte donc une troisième main pour demander comment on se porte à Montpellier ; il subsiste de l’espérance de revoir les deux voyageurs au mois d’avril. M. de Florian sait sans doute que Goezmann et Beaumarchais sont jugés, et que le public n’est point content. Le public, à la vérité, juge en dernier ressort ; mais ses arrêts ne sont exécutés que par la langue. Le monde a beau parler, il faut obéir[1].

La Chalotais obéit quand la maréchaussée le traîne en prison à Loches, à l’âge de soixante-quatorze ans, pissant le sang, écorché de gravelle.

Pour Mme de Monglat[2], que la maréchaussée conduisait à Montpellier pour aller pleurer ses péchés dans un couvent, elle n’a point obéi ; elle a pris, pendant la nuit, un cheval de la maréchaussée même, et s’est échappée au grand galop, en corset et en jupon, tenant d’une main sa boite de diamants, et de l’autre la bride de son cheval. On croit que cette brave amazone se réfugie à Genève.

Le vieux malade n’a pas pu manger des perdrix rouges dont M. de Florian a régalé Ferney ; mais Mme Denis, plus gourmande que jamais, les a trouvées excellentes. Elle voudrait que les deux voyageurs de Montpellier les eussent mangées avec elle au petit Ferney.

La poste part, il faut finir cette lettre, et souhaiter le prompt retour des deux aimables voyageurs.

  1. Les juges restèrent assemblés depuis cinq heures du matin jusqu’à dix heures du soir. Il y eut de très-grands débats ; enfin la rage l’emporta : M. de Beaumarchais fut blâmé. Monseigneur le prince de Conti vint le même soir à sa porte l’inviter pour le lendemain à passer la journée chez lui ; il y laissa un billet finissant par ces mots : « Je veux que vous veniez demain ; nous sommes d’assez bonne maison pour donner l’exemple à la France de la manière dont on doit traiter un grand citoyen tel que vous. » Trois jours après, toute la cour s’était fait écrire chez lui. (Note du correspondant général de la Société littéraire typographique.) (K.) — Ces mots désignent Beaumarchais.
  2. Mme de Monglat ou Montglas était la femme d’un président de la chambre des comptes de Montpellier, qui avait obtenu une lettre de cachet pour la faire enfermer au couvent. Les Mémoires secrets, à la date du 25 février 1774. parlent de la conduite scandaleuse de cette dame.