Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8961

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 485-486).
8961. — À M. BERTRAND[1],
conseiller de sa majesté le roi de pologne,
À yverdon.
à ferney, 25 octobre.

Le vieux malade de Ferney vous avoue, monsieur, qu’il joint la paresse à toutes ses autres maladies. Je ne suis pourtant pas paresseux lorsqu’il est question de lire d’aussi bons ouvrages que celui dont M. Bertrand m’a gratifié[2].

Quant à l’énorme et ridicule fatras imprimé à Lausanne, dont j’ai envoyé une vingtaine de volumes à M. Bertrand, je lui demande bien pardon de la faiblesse que j’ai eue de faire cette sottise. Je ne savais pas ce que contenaient tous ces livres, qu’on imprime à Lausanne et à Genève sans m’en donner le moindre avis.

Il y a mille fadaises qui ne sont pas de moi, et celles qui en sont méritent encore plus que les autres d’être jetées au feu. C’est le parti que je prends souvent, quand je rencontre par hasard un de ces volumes qu’on imprime sans me consulter. Je ressemble aux vieilles catins dont on débite l’histoire amoureuse ; si elles ont eu quelques amants dans leur jeunesse, on leur en donne mille.

Le vieux malade fait infiniment plus de cas des connaissances utiles de M. Bertrand, et surtout de sa conversation, que de toutes les rapsodies qu’on appelle belles-lettres. Il conservera pour lui, jusqu’au dernier moment de sa vie, la plus sincère estime et la plus tendre amitié.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Le Dictionnaire universel des fossiles.