Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8871

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 404-405).
8871. — À M. MARIN[1].
26 juin.

J’ai reçu, monsieur, en dernier lieu, la moitié d’un imprimé ; peut-être le reste viendra aujourd’hui. Je me flatte aussi que M. de Tolendal répondra à mes questions.

J’ignore quelle espèce de grâce le roi lui a faite ; mais je vois que je m’étais trompé en le prenant pour un neveu et pour un héritier : cela change prodigieusement l’espèce de travail auquel on m’avait engagé. Il ne faut tromper ni son avocat ni son confesseur. M. de Tolendal n’est nullement en droit de demander la révision du procès, et quand il serait fils unique légitime, il ne l’obtiendrait pas. La famille de Thou n’a jamais pu obtenir, dans les temps les plus favorables, la révision du procès criminel d’Auguste de Thou, à qui le cardinal de Richelieu avait si injustement fait couper la tête.

M. de Tolendal me répond sur la noblesse des Lally qu’ils avaient un château en Irlande dès le viie siècle ; en ce cas, sa maison est beaucoup plus ancienne que celle du roi. M. le vicomte de Fumel, reconnu pour être véritablement d’une des plus anciennes maisons de l’Europe, dit que feu Lally était absolument sans naissance comme sans vertu. Je ne décide point entre des assertions si contraires ; mais j’ai demandé s’il est vrai que l’avocat d’Antremont, après la mort de Lally, ait dénoncé quinze cent mille francs déposés chez lui par cet officier ; on ne me répond point sur cet article important. Je sais que Lally était né sans aucun bien, et que s’il a laissé plusieurs dépôts pareils, ce n’est pas une preuve bien convaincante de son innocence.

Il y a parmi ses accusateurs beaucoup de gens de qualité, beaucoup d’hommes de considération, et quelques-uns qui ont encore du crédit ; cela ne m’empêchera pas de travailler. Je serai vrai et sage, du moins je l’espère. Mais, encore une fois, si on ne me satisfait pas sur les quinze cent mille francs, cette histoire ne fera pas grand bien à la mémoire de Lally.

Tout ceci entre nous, s’il vous plaît.

On dit le grand vizir complètement battu ; vous devez en savoir des nouvelles.

Pourriez-vous me dire, mon cher correspondant, quel est le premier commis de M. le duc d’Aiguillon, chargé des dépêches pour Gênes ? J’ai besoin d’une petite protection dans ce pays-là contre un négociant marquis[2], lequel fait banqueroute en marquis à des artistes de ma colonie. Je ne veux point importuner M. le duc d’Aiguillon de cette affaire ; un commis me suffit contre un marquis.

Voudriez-vous bien avoir la bonté de faire passer cette lettre à M. d’Alembert ? Mille tendres amitiés.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Viale.