Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8865
Il[1] me mande, mon cher ami, que c’est un malentendu et un mensonge infâme débité par un histrion. Il y a d’ailleurs dans cette affaire de petits secrets très-intéressants pour ce pauvre vieillard qui vous aime de tout son cœur.
Je vous ai déjà dit que je devais me taire, et je me tais.
La grande femme[2] est très-irritée contre certains prisonniers[3] qui ont dit d’elle des choses affreuses. Ils sont courageux, mais ils ne sont pas discrets. Voilà tout ce qu’elle me fait entendre sur cette affaire, qui aurait fait un honneur infini à la philosophie et à vous.
Le jugement de ce pauvre Morangiés me paraît une de ces contradictions dont le monde est plein. S’il n’était pas suborneur de témoins, pourquoi le mettre en prison ? Si les juges sont assez romanesques pour croire qu’il a reçu les cent mille écus, pourquoi ne l’ont-ils pas condamné comme calomniateur, et comme ayant voulu faire pendre ceux dont il a volé l’argent ? Le feu et l’eau, dont les comètes nous menacent, ne sont pas plus contradictoires.
Encore une fois, il faut cultiver son jardin. Ce monde est un chaos d’absurdités et d’horreurs, j’en ai des preuves. J’ai tâché au moins de ne me point contredire dans ma manière de penser. Soyez sûr que je ne me contredirai jamais dans ma tendre amitié pour vous, et dans ma vénération pour vos grands talents et pour votre caractère ferme et inébranlable.
Mes compliments, je vous en prie, à ceux qui se souviennent de moi dans l’Académie. J’espère trouver un moyen d’envoyer des Crétois[4].
- ↑ Le duc de Richelieu ; voyez la lettre 8840.
- ↑ Catherine II.
- ↑ Les Français faits prisonniers en Pologne.
- ↑ Les Lois de Minos.