Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8850

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 383-384).
8850. — À M. D’ALEMBERT.
À Ferney, 20 mai.

Ce que vous m’avez mandé, mon cher ami, est très-vrai, et beaucoup plus fort qu’on ne vous l’avait dit. Ces conseils et ces souhaits ont été regardés comme une injure. Il vaudrait beaucoup mieux se corriger que de se fâcher. Il arrive fort souvent que ce qui devrait faire du bien ne produit que du mal. Que vous dirai-je, mon cher philosophe ?


Monsieur l’abbé et monsieur son valet
Sont faits égaux tous deux comme de cire[1].


Il n’y a d’autre parti à prendre que celui de cultiver librement les lettres et son jardin, et surtout l’amitié d’un cœur aussi bon que le vôtre, et d’un esprit aussi éclairé.

Je ris des folies des hommes et des miennes.

À propos de folies, on m’a mandé que la moitié de Paris croyait fermement que, ouï le rapport de M. de La Lande, une comète[2] passerait aujourd’hui, 20 de mai, au bord de notre globule, et le mettrait en miettes. Il y a bien longtemps que les hommes font ce qu’ils peuvent pour le détruire, et ils n’ont pu en venir à bout. Je vous avoue que je soupçonne un peu de ridicule dans l’idée de Newton que la comète de 1680 avait acquis, en passant à un demi-diamètre du soleil, un embrasement deux mille fois plus fort que celui du fer ardent.

Il me semble d’ailleurs que messieurs de Paris jugent de toutes choses comme de la prétendue comète, que M. de La Lande n’a point annoncée.

Je vous prie, quand vous le verrez, de lui faire mes très-sincères compliments sur le gain de son procès contre l’ami Coger[3]. Ce Coger n’a pas fait grand bien, à ce que je vois, au pecus de l’université.

Je suis toujours bien malade : j’égaye mes maux par les sottises du genre humain. Je vous aime et vous révère.

Mon cher ami, mon cher philosophe, vous n’aviez pas pu soupçonner le motif de cette méchanceté ; mais vous avez fort bien connu le caractère de la personne. Vous connaissez aussi celui de son maître : donc il faut cultiver son jardin et se taire.

  1. Marot, épigramme LXXXV.
  2. Voyez l’opuscule de Voltaire à ce sujet, tome XXIX, page 47.
  3. Voyez tome XXI, page 357 ; et XXVI, 431.