Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8822

Correspondance : année 1773GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 48 (p. 358-359).
8822. — À M. MOULTOU[1].
25 avril 1773, à Ferney.

En vous remerciant, monsieur, du fond de mon cœur ; le vôtre doit être bien ulcéré[2].

Je ne doute pas que vous ne fassiez voir le jour à des pièces aussi importantes, et que vous ne manifestiez ces excès de l’imposture d’un évêque et de la faiblesse de ce pauvre vicaire. Ce sera servir à la fois les rois de France, d’Espagne, de Portugal et de Naples[3], justifier la mémoire de M. de Montclar, et rendre service à tous les honnêtes gens de l’Europe. La publication d’une telle calomnie est d’autant plus nécessaire qu’une pareille friponnerie est en usage dans presque toutes les paroisses catholiques. On gêne, on persécute les vivants, et on calomnie les mourants.

Il ne faut pas manquer une si belle occasion de démasquer des loups qui se cachent sous la peau des agneaux qu’ils ont mangés.

  1. Éditeur. A. Coquerel.
  2. J.-P.-Fr. Rippert de Montclar, procureur général au parlement d’Aix, est fameux pour ses actes énergiques d’opposition à l’ultramontanisme. En 1768, ce fut lui qui prit possession au nom de Louis XV du Comtat-Venaissin, enlevé pour toujours au gouvernement des papes. Plus tard il se rendit célèbre par un plaidoyer contre les jésuites, qui contribua à leur expulsion. Enfin, il est l’auteur d’une de ces dissertations sur l’état civil des protestants qui préparèrent l’opinion à leur émancipation. (Mémoire théologique et politique au sujet des mariages clandestins des protestants de France, où l’on voit qu’il est de l’intérêt de l’Église et de l’État de faire cesser ces sortes de mariages en établissant pour les protestants une nouvelle forme de se marier qui ne blesse point leur conscience et qui n’intéresse point celle des évêques et des curés (Arundinem quassatam non confringet, etc. : 1755, in-8o, 141 pages). M. Charles Coquerel a donné une analyse de ce Mémoire dans son Histoire des Églises du désert (tome II, pages 216-223).

    Rippert de Montclar est une de ces énergiques figures, à la fois parlementaires, et gallicanes, qui demeurent la plus belle gloire de la magistrature française. Les protestants lui doivent de la reconnaissance, quoiqu’il n’ait pas demandé pour eux la liberté des assemblées religieuses comme Turgot. Nous croyons acquitter leur dette, au moins en partie, en publiant in extenso les pièces suivantes (voyez les lettres 8823, 8832, 8833). On y verra comment et par qui une rétractation entièrement controuvée lui fut prêtée après sa mort ; cette étrange défaillance attribuée à un esprit si consciencieux et si ferme a été considérée par des écrivains sérieux comme réelle ou au moins comme probable. Il est juste de rétablir les faits.

    Montclar était parent de Moultou. (Note du premier éditeur.)

  3. Ces quatre souverains avaient chassé les jésuites.