Correspondance de Voltaire/1773/Lettre 8735
Raton convient que Bertrand a raison par sa lettre du 9 de janvier. Bertrand a mis le doigt sur la plaie ; mais il faut qu’il sache qu’on a retranché à Raton deux scènes assez intéressantes[1], auxquelles il a été obligé de substituer des longueurs. On ne fera jamais rien de passable, et le commerce de l’esprit ira toujours en décadence, quand les commis à la phrase retourneront vos poches à la douane des pensées.
C’est dommage, car le sujet était heureux, et il a donné lieu à des notes qui feront dresser les cheveux à la tête des honnêtes gens, à moins qu’ils ne soient chauves. On reconnaissait les bœufs-tigres dans une des scènes supprimées ; c’est une plaisante contradiction d’avoir chassé les bœufs, et de ne vouloir pas qu’on parle de leurs cornes.
M. Belleguier[2] m’a écrit que vous auriez reçu son discours pour les prix de l’université, il y a plus de huit jours, si ses typographes n’avaient pas été fort inquiétés à Montpellier, où sa drôlerie s’imprime. Ce M. Belleguier n’est point plaisant, ou du moins il n’a pas cru que l’on dût plaisanter dans cette affaire. Il est quelquefois un peu ironique ; mais il prouve tout ce qu’il dit par des faits authentiques auxquels il n’y a pas le petit mot à répondre. Je ne crois pas qu’il ait le prix, car ce n’est pas la vérité qui le donne. La pauvre diablesse est toujours au fond de son puits, où elle crie : Croyez cela, et buvez de l’eau.
Oui, vous m’avez dit[3], mon cher et grand philosophe, ce que Luc vous mandait au sujet des révérends pères, et vous m’aviez instruit du bon usage que vous aviez fait de sa lettre ; mais vous ne m’avez point parlé de celle de Catau.
C’est une chose infâme que je n’aie pas lu l’Éloge de Racine[4] : je m’en suis plaint à vous. Cet ouvrage m’était absolument nécessaire ; il est ridicule qu’on ne me l’ait point envoyé. Ce serait une bien bonne affaire si les Crétois[5] pouvaient avoir une espèce de petit succès, malgré la rigueur des temps et la dureté des commis. Je vous réponds que cela ferait du bien à la bonne cause, vu les choses utiles dont cette polissonnerie est accompagnée. Dieu veuille avoir pitié de nos bonnes intentions ! Je me recommande à lui ; je ne cesserai de le servir en esprit et en vérité jusqu’au dernier moment de ma pauvre vie ; mais je me recommande à vous davantage.
Je vous trouve bien hardi de m’écrire par la poste en droiture. Est-ce que vous ne savez pas que toutes les lettres sont ouvertes, et qu’on connaît votre écriture comme votre style ? Que n’envoyez-vous vos lettres à Marin ? il les ferait passer sous un contre-seing que la poste respecte.
Mille compliments à M. de Condorcet et à vos autres amis. Si jamais on me prend pour M. Belleguier[6], il est de nécessité absolue que vous rejetiez bien loin cette horrible méprise, et surtout que vous tâchiez de ne point rire.
Je vous embrasse bien tendrement.
- ↑ Dans les Lois de Minos.
- ↑ C’est sous ce nom que Voltaire donna un Discours : voyez tome XXIX, page 7.
- ↑ Lettre 8731.
- ↑ Par La Harpe ; voyez lettre 8722.
- ↑ Les Lois de Minos.
- ↑ Voyez lettre 8725.