Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8360

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 503-504).
8360. — À M. DE LA HARPE.
À Ferney, 4 septembre.

« Il déclare qu’il ne se chargera pas de porter la parole divine, si on lui donne des soutiens qui la déshonorent, et qu’il ne parlera au nom de Dieu et du roi que pour faire aimer l’un et l’autre[1]. »

« Le monarque a dit : Je vous donne mon fils ; et les peuples disent Donnez-nous un père[2]. »

Et le portrait de l’enthousiasme, et celui de Mme de Maintenon, si vrais, si fins, et si sublimes ; et cette admirable pensée de sentiment : Il est triste de représenter le génie persécutant la vertu ; et cet ignorant Louis XIV, moins blessé peut-être des Maximes des saints que des maximes du Télémaque ; et cette foule de peintures qui attendrissent, et de traits de philosophie qui instruisent : tout cela, mon cher ami, est admirable ; c’est le génie du grand siècle passé, fondu dans la philosophie du siècle présent.

Je ne sais pas si vous êtes entré actuellement dans l’Académie[3], mais je sais que vous êtes tout au beau milieu du temple de la gloire.

Votre discours est si beau que le cardinal de Fleury vous aurait persécuté, mais sourdement et poliment, à son ordinaire. Il ne pouvait souffrir qu’on aimât l’aimable Fénelon. J’eus l’imprudence de lui demander un jour s’il faisait lire au roi le Télémaque ; il rougit : il me répondit qu’il lui faisait lire de meilleures choses ; et il ne me le pardonna jamais.

Ce fut un beau jour pour l’Académie, pour la famille de cet homme unique, et surtout pour vous. M. d’Alembert, avec sa petite voix grêle, est un excellent lecteur ; il fait tout sentir, sans avoir l’air du moindre artifice. J’aurais bien voulu être là ; j’aurais versé des larmes d’attendrissement et de joie.

Il ne manque à votre pièce de poésie[4] qu’un sujet aussi intéressant ; elle est également belle dans son genre. Je suis enchanté de ces deux ouvrages et de vous. J’en fais mon compliment, du fond de mon cœur, à madame votre femme.

M. le duc de Choiseul sera flatté de voir ses bienfaits si heureusement justifiés.

M. de Létang, avocat, l’un de vos admirateurs, m’a écrit votre triomphe. Je ne puis lui répondre aujourd’hui, je suis trop malade. Il vous voit souvent, sans doute ; je vous prie de le remercier pour moi.

Embrassez bien tendrement l’illustre d’Alembert. Il est donc associé à M. Duclos ; ils doivent tous deux vous ouvrir les portes d’un sanctuaire dont ils sont de très-dignes prêtres. Les Thomas et les Marmontel n’ont-ils pas pris une part bien véritable à vos honneurs ? Réunissons-nous tous pour écraser l’envie.

Mme Denis est aussi sensible que moi à votre gloire.

  1. Passage de l’Éloge de Fénelon, par La Harpe.
  2. Autre passage de l’Éloge de Fénelon, par La Harpe.
  3. La Harpe n’y entra qu’en 1776.
  4. Voyez la note, page 494.