Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8350

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 495-496).
8350. — À M. D’ALEMBERT.
19 auguste.

Mon cher ami, j’ai vu le descendant du brave Crillon, qui est venu avec le prince de Salm, tous deux instruits et modestes, tous deux très-aimables, et dignes d’un meilleur siècle.

Quel homme de lettres donnerez-vous pour successeur à un prince du sang[1] ? Il se présente beaucoup de poëtes : ne faut-il pas donner la préférence à M. de La Harpe ou à M. Delille ?

Vous savez ce que c’est qu’un banneret, qu’à Berne on appelle banderet. Or le banderet de la république de Neuchâtel, ayant joint à sa dignité celle d’imprimeur[2], faisait une très-belle édition du Système de la Nature. Les dévotes de Neuchâtel, éprises d’une sainte rage, sont venues brûler son édition. Le gonfalonier de la république a été obligé de se démettre de sa charge ; mais on ne lui a point fait d’autre mal ; il n’en aurait pas été quitte à si bon marché dans Abbeville.

On a battu des mains à Rennes quand l’ancien parlement a été cassé, et qu’on en a érigé un nouveau.

On a déjà six volumes de l’Encyclopédie d’Yverdun ; personne ne la lit, mais on l’achète. Je doute fort que celle de Genève entre de sitôt à Paris. Nous revenons au temps où l’on agitait la question de mathematicis ab urbe expellendis.

Je suis tout étonné, moi malingre et aveugle, de vous dire des nouvelles du fond de ma solitude et de mon lit.

J’ai donné des paperasses pour vous à M. de Crillon.

Adieu, mon cher et grand philosophe, que j’aimerai jusqu’au dernier moment de ma vie.

  1. Le comte de Clermont. Ce fut de Belloy ; voyez lettre 8345.
  2. Il s’appelait Ostervald ; voyez lettre 8352.