Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8330

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 474-475).
8330. — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le 9 juillet 1771.

Je suis bien loin de mettre de l’importance aux querelles de vos nouveaux vassaux avec les souverains de Genève ; mais on m’a porté des plaintes en forme ; on a chargé M. Necker d’en porter. Il a fallu me mettre en règle. J’enverrai toutes les pièces à la cour. J’ai déjà prévenu M. le duc d’Aiguillon sur ces misères, comme vous l’auriez fait vous-même, en lui disant que tant qu’il n’y aurait que des paroles entre des voisins qui doivent se détester, il ne paraissait pas qu’il y eût autre chose à faire que de recommander la sagesse de part et d’autre. Mais vous vous apercevez comme moi, monsieur, du motif qui détermine messieurs de Genève. Ils veulent sonder les dispositions du nouveau ministre, et je ne doute pas qu’on n’emploie tous les moyens possibles pour lui donner la plus mauvaise idée des émigrants. Faites de votre côté ce que vous pourrez pour prévenir qu’on ne réussisse. Il en résulterait plus d’un mal. Vous savez que Deluc ne porte plus l’épée depuis la disgrâce de M. le duc de Choiseul. On se flatte que M. le duc d’Aiguillon applaudira à tout ce qui s’est fait à Genève, et détruira l’ouvrage de son prédécesseur ; mais j’espère que ce ministre se fera de bonne heure une idée juste de la manière dont il convient de traiter un peuple qui a souvent oublié sa petitesse, et qui, pour son avantage même, doit être contenu dans la crainte de nous déplaire.

Ni Mme Denis, ni vous, monsieur, ne devez douter de ma vigilance à écarter tous les obstacles qui peuvent retarder le bien dont vous vous occupez. Je ferais davantage si je savais comment les bureaux vont être établis : on me parle de changements dans cette partie ; mais ce ne sont encore que des bruits.

J’ai remarqué avec peine le cérémonial de votre lettre. Ne changez rien, je vous prie, à la manière dont vous m’avez toujours traité, puisque je ne changerai jamais dans le désir de vous donner en toute occasion des preuves de mon respectueux dévouement.

P. S. Les plantes qui se multiplient, et que nous cultivons nous-mêmes, nous retiennent dans notre jardin. Je compte cependant, au premier jour, aller admirer vos récoltes en tout genre. Si tous les gens qui se querellent sur la surface du globe voulaient ne s’occuper que des dons de la nature, je crois que ce grain de sable serait le meilleur des mondes.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.