Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8309

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 451-452).
8309. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 15 juin 1771.

Je ne vous écris plus si exactement ; voici pourquoi tant que j’étais avec mes parents, mon commerce devait vous être agréable ; à présent, que puis-je vous dire qui vous intéresse ? Je ne suis au fait de rien, je ne m’intéresse à rien ; je n’apprends les nouvelles que par les gazettes. Je reçois des lettres de Chanteloup ; voilà ma seule correspondance ; et comme on sait que je conserve vos lettres, on m’envoie toutes celles qu’on reçoit de vous.

L’on me charge de vous dire qu’on est très-content de votre reconnaissance, qu’on n’a nulle raison d’en douter, et que si on ne vous le dit pas soi-même, c’est qu’on s’est interdit d’écrire à personne. Ce n’est point une fausse défaite, c’est la pure vérité. On s’y porte fort bien ; on n’a de chagrins que ceux qui viennent de l’attachement et de l’amitié ; mais c’est beaucoup trop, j’en conviens ; je l’éprouve par moi-même.

Je n’ai point envoyé la septième page dont vous me parlez ; toutes ces sortes d’écrits sont entre leurs mains ; mais j’ai recommandé d’y faire attention.

Vous me donnez une lueur d’espérance de vous revoir, je voudrais bien qu’elle se réalisât. Indépendamment du plaisir que j’aurais de vous embrasser et de vous entretenir, je serais bien aise de savoir comment vous trouvez le bel esprit aujourd’hui ? Ce n’est pas le vôtre ni aucun de vos contemporains, c’est un genre tout neuf, et qui me renvoie à ne lire que le Siècle de Louis XIV, et à ce qu’on a écrit il y a quarante ou cinquante ans. J’en excepte le dernier ouvrage de M. Gaillard, qui m’a fait beaucoup de plaisir. Mon pauvre Formont appelait ce siècle-ci : pédant et frivole ; j’y ajouterais : froid, sec et ennuyeux. Vous me trouveriez digne d’y tenir ma place si je vous écrivais plus longtemps. Ainsi donc, adieu, mon cher Voltaire ; je vous aime et je vous aimerai toujours.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.