Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8287

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 432-433).
8287. — DE MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
Paris, 15 mai 1771.

Non, non, je ne hais point la philosophie, mais j’estime peu ceux qui n’en ont que le masque, sous lequel ils cachent l’orgueil et l’insolence. Vous n’aimez pas plus que moi les paradoxes, les raisonnements ennuyeux, le style froid, fade ou déclamatoire. Prenez-vous-en à vous si je suis devenue difficile.

Me soupçonnez-vous de lire tous les écrits dont nous sommes inondés ? Pour me forcer à les lire, on me dit qu’il y en a de vous : je les parcours ; je ne vous reconnais dans aucun ; je les jette tous au feu.

Je bénis le ciel de mon incapacité ; elle me dispense de m’occuper de tout ce qui se passe. Je suis sourde et muette, ce qui, joint à l’aveuglement, me rend, comme vous pouvez juger, d’une agréable société.

Ah ! c’est bien moi, mon cher Voltaire, qui regrette de ne vous pas voir ; mais si vous étiez ici, je n’y gagnerais rien ; vous me préféreriez vos nouvelles connaissances. Vous avez beau dire, Dieu fait tout pour le mieux. La fable de Jupiter et du métayer est une de mes favorites. À propos de fables, connaissez-vous celles de M. de Nivernois ? J’en ai entendu qui m’ont paru jolies. Vous a-t-on envoyé la Rivalité de la France et de l’Angleterre, par M. Gaillard ? Dites-m’en votre avis. Adieu, je vous quitte pour écrire à la grand’maman ; je lui envoie votre lettre ; elle lui confirmera la continuation de vos sentiments pour elle et pour son mari. Ils méritent l’un et l’autre l’estime et l’attachement du public, et surtout de vous et de moi : c’est là ce qui fonde le plus notre fraternité.

  1. Correspondance complète, édition de Lescure, 1865.