Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8254

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 400).
8254. — À M. DE CHABANON.
25 mars.

Vraiment oui, mon cher ami, quoique les malades ne ressentent que leurs maux, j’ai senti vivement le triste état de douze mille honnêtes gens traités comme des nègres par des chanoines et par des moines. On leur avait persuadé qu’ils étaient nés esclaves, et ils le croyaient bonnement.


L’instruction fait tout[1],


comme vous le savez. J’ai travaillé vivement pour eux, et M. le duc de Choiseul les prenait sous sa protection. Ils ont, dans mon petit Christin, un défenseur admirable. Il est enthousiaste de la liberté, de l’humanité, et de la philosophie ; mais je crois que par ce temps-ci les affaires de mes pauvres esclaves ne seront pas sitôt jugées ; le conseil est occupé à des choses plus pressantes il faut attendre.

Je dois remercier Mme la duchesse de Villeroi de m’avoir épargné le soin de faire des chœurs à Œdipe, je n’y aurais pas réussi ; on fait mal les choses qu’on n’aime pas, et j’avoue que je n’ai pas de goût pour la musique mêlée avec la déclamation : il me paraît que l’une tue toujours l’autre.

Je suis bien aise que le ton magistral de ce petit Clément, sa malignité et ses bévues, vous aient révolté comme moi. Ce maroufle descend de Zoïle, qui engendra l’abbé Desfontaines, qui engendra Fréron, qui engendra Clément.

Adieu, mon cher ami ; je suis accablé de maux, je suis aveugle ; mais on m’assure que je retrouverai mes yeux quand ce mont Jura, que vous connaissez, n’aura plus de neige.

Mme Denis vous fait les plus tendres compliments.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

  1. Zaire, acte I, scène i.