Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8220

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 365).
8220. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
Le 25 février.

La nature et la fortune nous traitent tous bien mal. Il est triste d’avoir à combattre à la fois deux puissances aussi formidables. Mme de Florian languissante et malade encore ; son fils[1] confiné avec sa femme dans un pauvre village à plus de cent lieues de vous ; Mme Denis au mont Jura avec une très-mauvaise santé ; moi chétif, devenu aveugle et attaqué de la goutte ; ma colonie, qui commençait à prospérer, frappée d’un coup de foudre ; tout presque détruit en un moment ; des dépenses immenses perdues : quand tout cela se joint ensemble, c’est un amas d’infortunes dont il est bien difficile de se tirer.

Je ne sais pas comment finira l’affaire du parlement, mais j’oserais bien dire que les compagnies font de plus grandes fautes que les particuliers, parce que personne n’en répondant en son propre nom, chacun en devient plus téméraire. Il m’a toujours paru absurde de vouloir inculper un pair du royaume[2], quand le roi, dans son conseil, a déclaré que ce pair n’a rien fait que par ses ordres, et a très-bien servi. C’est au fond vouloir faire le procès au roi lui-même ; c’est, de plus, se déclarer juge et partie ; c’est manquer, ce me semble, à tous les devoirs.

Je vous avoue encore que j’ai sur le cœur le sang du chevalier de La Barre et du comte de Lally. Heureusement d’Hornoy n’y a point trempé ses mains ; mais ceux qui ont à se reprocher ces cruautés, dont l’Europe est indignée, sont-ils bien à plaindre d’être à la campagne ? Il y a dix-sept ans que j’y suis, et je n’ai pourtant assassiné personne.

Le setier de blé, mesure de Paris, vaut toujours chez nous environ vingt écus. C’est un très-petit malheur pour moi, mais c’en est un fort grand pour le peuple.

Je vous embrasse tous deux tendrement, et je suis désespéré de n’être d’aucun secours à ma nièce.

  1. D’Hornoy, conseiller au parlement (voyez tome XXXVII, page 440, et XXXVIII, 401), avait été exilé à Sançoins en Berry.
  2. Le duc d’Aiguillon.