Correspondance de Voltaire/1771/Lettre 8208

Correspondance : année 1771GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 354-355).
8208. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 13 février.

Par la sainte Vierge, monseigneur, c’est à vous, c’est à notre doyen, c’est à M. le maréchal de Richelieu à gouverner notre Académie ; mais mon héros ne peut y donner qu’un coup d’œil en passant ; il a quelques affaires un peu plus importantes. Tout ce que je sais, c’est que je vous demande votre protection pour M. Gaillard, que vous en trouverez très-digne, et qui n’est point du tout infecté de ces principes que vous haïssez avec raison.

Je vous prie de remarquer que M. d’Alembert est le seul de nos académiciens qui ait travaillé à l’Encyclopédie, et que c’est assurément un homme d’un très-rare mérite. Je ne connais guère que Jean-Jacques Rousseau à qui on puisse reprocher ces idées d’égalité et d’indépendance, et toutes ces chimères qui ne sont que ridicules. Mais ne craignez pas que je vous demande jamais une place d’académicien pour lui, encore moins pour La Beaumelle, qui est fort inférieur à Jean-Jacques pour l’esprit et pour les connaissances, et infiniment supérieur en méchanceté et en impudence.

Il me paraît qu’il y a bien d’autres places à donner actuellement. Voilà un grand labyrinthe dont il sera difficile de sortir. Pour moi, qui ne sors guère de mon lit depuis que la neige couvre mes déserts, et qui suis privé à la fois de mes yeux et de mes jambes, je ne vois point les événements de ce monde du fond de mon tombeau de neiges. J’attends paisiblement les beaux jours ; je n’en trouverai que quand je pourrai vous faire encore ma cour avant d’achever ma carrière, et je prie Dieu que celle de notre doyen égale au moins celle du doyen Fontenelle.

Agréez mon tendre et profond respect.