Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8112

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 274-275).
8112. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
7 décembre.

J’ai commandé sur-le-champ, madame, à mes Vulcains quelque chose de plus galant que la ceinture de Vénus, pour Mme la marquise de Chalvet, la Toulousaine. Elle aura cercle de diamants, boutons, repoussoir, aiguilles de diamants, crochet d’or, chaîne d’or colorié. Vous aurez du très-beau et du très-bon. J’ai un des meilleurs ouvriers de l’Europe : c’était lui qui faisait à Genève les montres à répétition, où les horlogers de Paris mettaient leur nom impudemment. Je ne saurais vous dire le prix actuellement. Cela dépendra de la beauté des diamants.

Vous voulez peut-être, madame, des chaînes de marcassites séparément ; c’est sur quoi je vous demande vos ordres. Les chaînes ordinaires sont d’argent doré, dont chaque chaton porte une pierre : ces chaînes valent six louis d’or.

Celles dont les chatons portent des pierres appelées jargon, qui imitent parfaitement le diamant, valent onze louis.

Voilà tout ce que je sais de mes fabricants, car je ne les vois guère ils travaillent sans relâche. Vous prétendez que j’en fais autant de mon côté, vous me faites bien de l’honneur. Je n’ai guère de moments à moi. Il m’a fallu bâtir plus de maisons que le président Hénault n’en avait dans le quartier Saint-Honoré ; et il me faut à présent combattre la famine. Le pain blanc vaut chez nous huit sous la livre. J’ai envie d’en porter mes plaintes aux Éphémérides du Citoyen[1].

Vous me dites que du temps des sorciers j’aurais été brûlé : vraiment, madame, je le serais bien à présent si on en croyait l’honnête gazetier ecclésiastique. Mais n’appelez point l’Épître au roi de la Chine[2] un ouvrage ; ce sont les vers de Sa Majesté chinoise qui sont un ouvrage considérable. On y trouve sa généalogie : il descend en droite ligne d’une vierge ; cela n’est point du tout extraordinaire en Asie.

Je ne sais pas encore ce qui s’est passé au parlement. Il a dû trouver fort mauvais qu’on veuille le policer, lui qui prétend avoir la grande et la petite police. Il ferait bien mieux peut-être de ne point ordonner des auto-da-fé pour des chansons[3].

La Sophonisbe de Lantin[4] deviendra ce qu’elle pourra. On tâchera de trouver un quart d’heure pour envoyer quelques pompons à cette Africaine ; mais la journée n’a que vingt-quatre heures, et on n’est pas sorcier comme vous le prétendez.

On dit que Lekain est plus gras que jamais, et se porte à merveille ; cela doit réjouir infiniment M. d’Argental : il aura enfin des tragédies bien jouées.

Je me mets à l’ombre des ailes de mes anges. Mme Denis leur est attachée autant que moi, c’est beaucoup dire.

Mille respects.

  1. Voyez la note, tome XXIX, page 359.
  2. Tome X, page 412.
  3. Le supplice du chevalier de La Barre ; voyez la Relation, tome XXV, page 501.
  4. Tome VII, page 29.