Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8085

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 253-254).
8085. — À M. LE MARQUIS DE VILLEVIEILLE.
À Ferney, 16 ou 17 novembre.

Votre lettre de Cirey, monsieur, adoucit les maux qui sont attachés à ma vieillesse. J’aimerai toujours le maître du château, et je n’oublierai jamais les beaux jours que j’y ai passés. Je vous sais très-bon gré d’être attaché à votre colonel, qui est assurément un des plus estimables hommes de France[1]. Je l’ai vu naître, et il a passé toutes mes espérances.

Je ne sais comment je pourrai vous faire tenir la petite réponse au Système de la Nature[2] ; ce n’est point un ouvrage qui puisse être imprimé à Paris. En rendant gloire à Dieu, il dit trop la vérité aux hommes. Il leur faut un dieu aussi impertinent qu’eux ; ils l’ont toujours fait à leur image. Paris s’amuse de ces disputes comme de l’opéra-comique. Il a lu le Système de la Nature avec le même esprit qu’il lit de petits romans ; au bout de trois semaines on n’en parle plus. Il y a, comme vous le dites, des morceaux d’éloquence dans ce livre ; mais ils sont noyés dans des déclamations et dans des répétitions. À la longue, il a le secret d’ennuyer sur le sujet le plus intéressant.

La chanson que vous m’envoyez doit avoir beaucoup mieux réussi. Je suis bien aise qu’elle soit en l’honneur de l’homme du monde à qui je suis le plus dévoué, et à qui j’ai le plus d’obligations[3]; j’ose être sûr que les niches qu’on a voulu lui faire ne seront que des chansons. S’il me tombe entre les mains quelque rogaton qui puisse vous amuser, je ne manquerai pas de vous l’envoyer. Je suis à vous tant que je serai encore un peu en vie.

  1. M. le duc du Châtelet. (K.)
  2. Voyez ci-dessus, page 153.
  3. Le duc de Choiseul.