Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8083
Madame, je voudrais amuser notre bienfaitrice philosophe, et je crains fort de faire tout le contraire. L’auteur de cette Épître au roi de la Chine[1] dit qu’il est accoutumé à ennuyer les rois : cela peut être, je l’en crois sur sa parole ; mais il ne faut pas pour cela ennuyer madame la philosophe grand’maman, qui a plus d’esprit que tous les monarques d’Orient ; car pour ceux d’Occident, je n’en parle pas.
Si, malgré mes remontrances, Sa Majesté chinoise veut venir à Paris, je lui conseillerai, madame, de se faire de vos amis, et de tâcher de souper avec vous ; je n’en dirai pas autant à Moustapha. Franchement, il ne m’en paraît pas digne ; je le crois d’ailleurs très-incivil avec les dames, et je ne pense pas que ses eunuques lui aient appris à vivre.
Si, par un hasard que je ne prévois pas, cette Épître au roi de la Chine trouvait un moment grâce devant vos yeux, je vous dirais : Envoyez-en copie pour amuser votre petite-fille, supposé qu’elle soit amusable, et qu’elle ne soit pas dans ses moments de dégoût.
Pour réussir chez elle, il faut prendre son temps[2].
Puissé-je, madame, prendre toujours bien mon temps en vous présentant le profond respect, la reconnaissance et l’attachement du vieil ermite de Ferney !