Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8075

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 246).
8075. — À MADAME D’ÉPINAI.
6 novembre.

La fièvre me prit, madame, dans le temps que j’allais vous écrire. Il n’est pas étrange qu’on ait le sang en mouvement quand on est occupé de vous. Franchement, je suis bien malade ; mais le plaisir de vous répondre fait diversion.

Oui, madame, j’ai lu le troisième volume[1] qui contient la réfutation du Pernety, et je sais très-bon gré à ce Pernety de nous avoir valu un si bon livre.

Comment pouvez-vous me dire que je ne connais point l’abbé Galiani ! est-ce que je ne l’ai pas lu ? par conséquent je l’ai vu. Il doit ressembler à son ouvrage comme deux gouttes d’eau, ou plutôt comme deux étincelles. N’est-il pas vif, actif, plein de raison et de plaisanterie ? Je l’ai vu, vous dis-je, et je le peindrais.

On fait actuellement un petit Dictionnaire encyclopédique[2], où il n’est pas oublié à l’article Blé.

Le mot d’impôt, et tout ce qui a le moindre rapport à cette espèce de philosophie, me fait frémir, depuis que le philosophe M. l’abbé Terray m’a pris deux cent mille francs, qui faisaient toute ma ressource, et que j’avais en dépôt chez M. de La Borde. Il n’y a que vous, madame, qui puissiez me faire supporter la philosophie sur la finance, parce que sûrement vous mettrez des grâces dans tout ce qui passera par vos mains.

Je veux croire qu’on a très-bien raisonné ; mais le pain vaut quatre à cinq sous la livre au cœur du royaume, et à l’extrémité où je suis.

L’idée qu’on ne nous charge que parce que nous sommes utiles est très-vraie. On ne fait porter des fardeaux qu’aux bêtes de somme, et Dieu nous a faits chevaux et ânes. Si nous étions oiseaux, on s’amuserait à nous tirer en volant.

En voilà trop pour un pauvre vieillard qui n’en peut plus, et qui est entre les mains des contrôleurs généraux et des apothicaires.

Mes compliments à vos beaux yeux, ma charmante philosophe, quoique les miens ne voient goutte. Mille respects.

  1. L’abbé Pernety (Antoine-Joseph), né en 1716, mort en 1801, avait publié un Examen des Recherches philosophiques sur l’Amérique, 1770, in-12. De Pauw publia, en réponse, Défense des Recherches sur les Américains, 1770, in-8°, qui forme le troisième volume de son ouvrage.
  2. Les Questions sur l’Encyclopédie, qui sont fondues dans le Dictionnaire philosophique. L’article Blé est au tome XVIII.