Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 8044

8044. — DE CATHERINE II,
impératrice de russie.
Ce 28 septembre-9 octobre.

Monsieur, vous aimez les belles âmes : voyez comme celle du comte Alexis Orlof s’est peinte dans la réponse qu’il a faite aux consuls chrétiens de Smyrne ! Je suis persuadée que vous serez content de lui (l’imprimé ci-joint la contient). Ai-je tort, quand je dis que ces Orlof sont nés pour les grandes choses ?

Vous me demandez, dans votre lettre du 21 septembre, si le général Todtleben s’est emparé d’Erzeroum. Je vous ai informé, je pense, que sa dernière conquête était la ville de Cotatis. On ne va pas si vite en guerre, parce qu’il faut faire deux repas par jour, et que, pour que cela se fasse, il faut avoir ou trouver de quoi.

Je veux sincèrement la paix, non parce que les ressources me manquent pour faire la guerre, mais parce que je hais l’effusion du sang humain. Si M. Moustapha fait de l’opiniâtre, j’espère qu’il nous trouvera, l’année qui vient, partout où nous pourrons le persuader qu’il vaut mieux céder aux circonstances pour sauver son empire que de pousser l’entêtement jusqu’à l’extrémité.

Les Grecs, les Spartiates, ont bien dégénéré ; ils aiment la rapine mieux que la liberté. Ils sont à jamais perdus s’ils ne profitent point des dispositions et des conseils du héros que je leur ai envoyé. Je ne parle point des Vénitiens je trouve qu’il n’y a que le pape et le roi de Sardaigne qui aient du mérite en Italie.

Soyez assuré, monsieur, qu’on ne saurait sentir plus de satisfaction que j’en ressens chaque fois que je reçois de vos lettres ; elles contiennent tant de témoignages de votre amitié que je ne puis que vous en être très-obligée.

Catherine.

P. S. Dans ce moment on vient de m’apporter la nouvelle que Belgorod, en turc Akkermann, sur le Dniester, s’est rendu le 26 de septembre par capitulation. Bientôt, je pense, vous entendrez parler de votre Brahilow.