Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7925

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 111-112).
7925. — DE M. HENNIN[1].
À Genève, le 18 juin 1770.

Nous n’allons pas du même pas, monsieur, et ce n’est pas le moyen d’obtenir justice. Je ne ferai point usage de la déposition de Dalloz, et le mieux à tous égards est de ne pas la laisser paraître, et, s’il est possible, d’en retirer la minute de votre greffe, comme inutile pour le moins. Celui de mes gens qui était présent n’a rien entendu qui me compromit. Le sergent a dit, sur ce que votre homme demandait d’être conduit chez moi : « Qu’est-il nécessaire qu’on te conduise chez le résident ? » Au reste, quand cet homme et le visiteur m’auraient mêlé dans une sottise, il faudra toujours commencer par la première cause de la querelle.

Dalloz ne dit pas un mot de ce que les témoins déposent, savoir, que le visiteur, en sortant de son bouge, dit : « Il faut l’envoyer en prison ; qu’est-il besoin de le ménager ? Il appartient à ce b… de Voltaire. » Ce qu’il a répété plusieurs fois ; et le sergent a renchéri sur ces expressions. Voilà ce dont je porte plainte.

Dalloz pourra se trouver seul à soutenir que j’aie été mis en jeu dans les sottises de ces messieurs, et dès lors il perdrait. On insistera sur ce point douteux pour faire tomber les autres, qui sont le fond du procès. La circonstance que Dalloz rapporte est un grand grief de plus, mais n’est qu’accessoire.

Si je produisais sa déposition de Ferney, où il déclare qu’il n’a rien à dire de plus que ce qu’elle renferme, ni vous, monsieur, ni peut-être moi, ne pourrions rien obtenir en justice, parce qu’il n’y aurait qu’un témoin pour l’article qu’il attribue au sergent, et que le quidam à qui il fait dire la plus grosse sottise ne se trouverait pas.

Je compte que Dalloz passera demain ici. Je l’enverrai chez l’auditeur faire sa déposition, et lui recommanderai d’entrer dans un plus grand détail, de dire ce qu’il a entendu, ce qu’il n’a peut-être pas voulu faire par un respect louable pour vous. Enfin, voici ma marche. On a maltraité votre homme sans raison, on vous a insulté à la face de trente témoins, dont j’en produis quatre ou cinq qui ont parlé ; Dalloz de plus dit qu’on m’a mêlé dans les sottises qu’on lui a dites. Je demande réparation de ces faits. C’est ainsi qu’il faut traiter cette affaire. Je demande que le visiteur perde sa place, que le sergent soit cassé à la tête de la garde, et s’il m’a mis même indirectement dans ses sottises, qu’il soit mis en prison jusqu’à ce que je l’en fasse sortir.

J’ai déjà avis qu’on est bien fâché de cette algarade, et qu’on se dispose à faire ce qui convient pour que ni vous, ni moi, n’ayons à nous plaindre. Pardon, monsieur, de ce plaidoyer. Plus ces gens-ci sont répréhensibles, plus il faut être exact.

C’est une fort bonne chose, monsieur, que de rire et de faire rire les ministres quand ils en ont le temps. Mais j’ai commencé cette affaire sérieusement ; continuons-la de même, je vous supplie. Envoyez Dalloz. Il est dans la règle qu’il dépose à Genève, puisque le délit s’est commis à Genève, et que j’en ai porté plainte au magistrat. Suspendez de faire passer à monsieur le duc la déposition, qui n’est pas assez grave pour faire impression, et qui, à l’examen, se réduirait à peu de choses. Laissez-moi faire mon métier comme je l’entends, et continuer cette affaire que mon respect et mon amitié pour vous m’ont fait entamer. Il n’importe pas seulement qu’on sache que la canaille de Genève est insolente ; il faut qu’elle cesse de l’être. On a déjà ôté le visiteur de son poste. J’aurai, si je le puis, l’honneur de vous voir ce soir. J’espère que vous enverrez votre homme sur-le-champ. S’il ne paraissait pas, messieurs de Genève diraient qu’on ne les a pas mis à portée de faire justice, et votre plainte à monsieur le duc serait sans effet. D’ailleurs, vous me mettriez dans la nécessité de ne pas poursuivre, et j’aurais fait une fausse démarche.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, 1825.