Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7825

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 17-18).
7825. À M. HENNIN.
16 mars 1770.

Vraiment, monsieur, je ne me plains point de Bougroz ; mais je plains beaucoup ceux qu’il a volés. Sa femme et lui sont fort adroits. Ils enlevèrent tous leurs meubles pendant la nuit sous le nez de leur hôtesse, emportèrent la clef de l’appartement, laissèrent pour environ six cents livres de dettes, et vinrent tranquillement vous demander un passe-port.

Ce Bougroz a été garde du corps dans la compagnie de Noailles, chassé probablement pour des tours semblables, et envoyé en Amérique. Il se fit depuis chirurgien, médecin et apothicaire. Il est très-violemment soupçonné d’avoir empoisonné à Ferney une pauvre fille de Suisse qu’il disait sa femme.

Tout ce qu’on pourrait faire en faveur de celle qu’il a emmenée en Languedoc, et avec laquelle il a fait un contrat en Suisse, serait de l’exhorter à n’être jamais purgée de sa façon.

Je pense d’ailleurs que vous pourriez lui faire envoyer son attestation de divorce, mais avec une boîte de contre-poison.

Voilà tout ce que je sais de Bougroz.

Quant a monsieur l’ambassadeur, si c’est M. le baron de Philibert[1], il est bon qu’on en soit instruit à Versailles pour le recevoir selon sa dignité.

On prétend que monsieur le duc est fort mécontent de monsieur l’abbé[2], je le défie de l’être plus que moi ; j’aiderai pourtant la colonie autant que je le pourrai, quoiqu’on m’ait pris une somme terrible.

Il y à deux émigrants à Ferney, l’un nommé Vaucher, l’autre Gaubiac, qui veulent ravoir leurs femmes et leurs effets. On les a menacés de la prison, s’ils reviennent à Genève, parce qu’ils n’ont pas fait le serment. Je pense que vous pourriez leur accorder un passe-port comme à des Français ; mais, en attendant, j’envoie leur placet à monsieur le duc, et je le prie de vous le renvoyer apostillé.

On m’a assuré que l’ambassadeur, qui est séduisant, séduirait M. de Taulès contre vous, et que tous deux séduiraient M. de Bournonville, lequel séduirait monsieur le duc. Je doute beaucoup de toutes ces séductions. Vous savez avoir raison et plaire. Vous avez séduit mon cœur pour tout le temps qu’il battra dans ma pauvre machine.

Comme le pape me fait des compliments par M. le cardinal de Bernis, je vous prie, monsieur, de recevoir ma bénédiction séraphique.

Frère François, capucin indigne.
  1. Philibert Cramer, l’un des imprimeurs de Voltaire ; voyez lettre 7841.
  2. L’abbé Terray.