Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7812

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 47 (p. 7-8).
7812. — À M. DE LA HARPE.
7 mars.

J’avais grand besoin de ce que je viens de recevoir. Je suis très-malade, mon cher enfant, mais j’ai oublié mes maux en vous lisant. Voilà le vrai style, clair, naturel, harmonieux, point d’ornement recherché ; tous les vers frappés et sentencieux naissent du fond du sujet, et se présentent d’eux-mêmes ; grande simplicité, grand intérêt ; on ne peut quitter la pièce dès qu’on en a lu quatre vers, et les yeux se mouillent a mesure qu’ils lisent. Il faut jouer cette pièce dans tous les couvents, puisqu’on ne la jouera pas sur le théâtre ; mais je suis persuadé qu’on la jouera dans trente familles : je dis plus, je parie qu’elle fera beaucoup de bien, et que plus d’une fille vous aura l’obligation de n’être point religieuse.

J’ai reçu cette semaine deux pièces qui m’ont bien consolé. Premièrement la votre, et ensuite celle de M. le comte d’Aranda, qui porte le dernier coup a l’inquisition.

En voici une troisième non moins agréable que je trouve dans le paquet avec Mélanie : c’est votre joli envoi[1]. Je ne suis pas en état de vous payer en même monnaie. Votre jeune et brillante muse me prend trop à son avantage. Il m’est plus aisé, dans mes souffrances, de sentir votre mérite que d’y répondre.

Mme Denis m’arrache Mélanie, et va pleurer comme moi.

  1. Cet envoi est imprimé en tête de Mélanie, page 165 du tome 1er’des Œuvres de La Harpe, édition de 1821.