Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7793

7793. — À M. LE CHEVALIER DE MONTFORT,
à florac en gévaudan.
21 février.

Monsieur, celui à qui vous avez écrit se sent très-indigne des éloges que vous voulez bien lui donner, mais il est touché de votre mérite, et du soin que vous avez pris de vous instruire.

La dissertation de Calmet[1], dont vous parlez, est une de ses plus faibles. Il vous suffira d’un coup d’œil pour juger des paroles de ce pauvre homme.

Je pourrais avancer que le voyage de saint Pierre à Rome est prouvé par saint Pierre même, qui marque expressément qu’il a écrit sa lettre de Babylone, c’est-à-dire de Rome, comme nous l’expliquons avec les anciens ; cette preuve seule suffirait pour trancher la difficulté. »

Vous voyez, monsieur, combien il serait ridicule de dire qu’une lettre datée de Paris vient de Toulouse.

Le premier qui écrivit ce prétendu voyage[2] et les aventures de Simon Barjonc avec Simon, qu’on disait magicien, est un nommé Abdias, fort au-dessous des historiens de Robert le Diable et des Quatre fils Aymon. Marcel, autre auteur digne de la Bibliothèque bleue, suivit Abdias ; Égésippe enchérit encore sur eux. C’est ce même Égésippe qui écrivit que Domitien, ayant su que les petits-fils de Jude étaient à Rome, qu’ils étaient parents de Jésus, et descendants de David en droite ligne, les fit venir devant lui, dans la crainte qu’ils ne s’emparassent du royaume de Jérusalem, auquel ils avaient un droit incontestable, etc., etc.

Soyez très-sûr que l’histoire ecclésiastique n’a pas été écrite autrement jusqu’au xvie siècle. Mais puisque tout cela vaut cent mille écus de rente à certains abbés, des souverainetés à d’autres hommes, il ne faut pas se plaindre.

L’artillerie, dans laquelle vous êtes officier, ne peut rien contre les remparts que l’erreur s’est bâtis ; mais le bon esprit sert à ne se laisser pas subjuguer par ces erreurs.

J’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Dissertation sur le voyage de saint Pierre à Rome, dans le Commentaire littéral sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, in-folio, tome VIII, page 731.
  2. Voyez tome XX pages 213 et 592.