Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7780

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 556-557).
7780. — À M. DE JARDIN[1].
À Ferney, 15 février.

Vous avez bien voulu, monsieur, servir de tuteur à M. Durey de Morsan. Je partage cet emploi depuis une année entière. Mme de Sauvigny m’ayant chargé, par deux de ses lettres, de le voir et de lui parler, j’exécutai ses ordres. Je sus qu’il ne touchait deux mille écus de revenu que depuis peu de temps, et qu’il avait fait quelques dettes à Neuchâtel : je payai les dettes qui vinrent à ma connaissance ; je l’ai gardé chez moi pendant une année entière, et je puis assurer toute sa famille que, pendant cette année, il s’est conduit avec la plus grande circonspection. Il m’a paru qu’il sentait ses fautes, et qu’il voulait passer le reste de sa vie à les réparer. Il est nécessaire que sa conduite ne fasse jamais rougir sa famille.

Premièrement il a quelques dettes criardes à payer ; en second lieu, il doit donner à sa fille naturelle, qui est dans la misère, un secours dont elle a besoin ; il faut aussi qu’il aide un peu une demoiselle Nollet, nièce de M. l’abbé Nollet, de l’Académie des sciences, qui va se marier convenablement ; elle lui est attachée depuis plus de dix années, sans que jamais elle ait eu d’appointements. Une légère somme, en cette occasion, est la moindre chose qu’il puisse faire. Tout cela doit être pris sur les six mille livres d’extraordinaire que lui donne la commission nommée juridiquement pour payer ses dettes.

Je présume que ces détails monteront à cent louis d’or ou environ : il en restera assez pour acheter les meubles nécessaires, et le faire subsister honorablement à Neuchâtel, avec sa pension de deux mille écus, qui doit augmenter avec le temps.

Il est convenable que le frère de Mme de Sauvigny jouisse de quelque considération dans la retraite qu’il s’est choisie.

J’ai tout lieu de me flatter que sa famille et lui seront entièrement en repos. Je ne crains que la facilité de M. Durey. Je l’ai mandé à Mme de Sauvigny. C’est principalement cette facilité qui a causé ses fautes et ses malheurs. Son âge de cinquante-trois ans, et ses réflexions, me donnent pourtant beaucoup d’espérance.

Quoi qu’il en soit, monsieur, je ne me chargerai des six mille livres accordées par ses créanciers qu’à condition que toutes ses dettes seront payées, Mlle Nollet récompensée honnêtement, mais avec économie, et qu’on lui fera acheter probablement les meubles indispensables pour s’établir à Neuchâtel, et pour ne plus payer de loyer en chambre garnie.

Je lui ai servi de père pendant un an ; mais je le renoncerais s’il ne se rendait pas digne de la famille dont il est, et de celle à laquelle il est allié.

J’ai cru ne devoir me charger de rien sans vous avoir donné ces éclaircissements. J’attends l’honneur de votre réponse.

J’ai celui d’être avec tous les sentiments que je vous dois, monsieur, etc.

  1. Greffier en chef du Châtelet, et tuteur de Durey de Morsan, comme le dit Voltaire dans la lettre 7783.