Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7776

7776. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
9 février.

Je présume, monseigneur, que vous reçûtes en son temps le petit livre de Mme de Caylus[1] que j’eus l’honneur de vous envoyer. Vos occupations et vos plaisirs ne vous ont pas laissé le temps de m’en instruire. C’est un livre fort rare ; je ne crois pas qu’il y en ait encore à Paris d’autre exemplaire que le vôtre. Vous y aurez vu que monsieur le duc votre père mettait les portraits de ses anciens serviteurs au grenier ; mais si j’étais dans votre grenier, je me tiendrais encore très-heureux.

Je suis très-fâché de mourir sans avoir pu vous donner ma bénédiction. Vous êtes tout étonné du terme dont je me sers, mais il me sied très-bien ; j’ai l’honneur d’être capucin. Notre général, qui est à Rome, m’a envoyé mes patentes signées de sa vénérable main. Je suis du tiers ordre, mes titres sont fils spirituel de saint François, et père temporel.

Dites-moi laquelle de vos défuntes maîtresses vous voulez que je tire du purgatoire, et je vous réponds sur ma barbe qu’elle n’y sera pas vingt-quatre heures.

Je dois vous dire qu’en qualité de capucin j’ai renoncé aux biens de ce monde, et que, parmi quelques arrangements que j’ai faits avec ma famille, je lui ai abandonné ce qui me revenait, tant sur la succession de Mme la princesse de Guise que sur votre intendant ; mais je n’ai point prétendu vous gêner, et je serais au désespoir de vous causer le moindre embarras. Ma famille recevra vos ordres, et les recevra comme des bienfaits.

Vous me parliez, monseigneur, dans votre dernière lettre, de votre beau jardin de Paris ; et je suis entouré actuellement de quatre-vingts lieues de neiges. J’aimerais mieux vous faire ma cour dans votre palais de Richelieu que dans tout autre ; mais vous n’habiterez jamais Richelieu. Vous êtes fait pour aller briller tantôt à Versailles, tantôt à Bordeaux. J’admire comme vous éparpillez votre vie. Souffrez que, du fond de ma caverne, je vous renouvelle mon très-tendre respect, et que Mme Denis le fasse valoir auprès de vous.

Recevez la bénédiction de V., capucin indigne, qui n’a point de bonne fortune de capucin.

  1. Voyez lettre 7713.