Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7766

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 543-544).
7766. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT.
À Ferney, 28 janvier.

Qui ? moi, madame, que je n’aie point répondu à une de vos lettres : que je n’aie pas obéi aux ordres de celle qui m’honore depuis si longtemps de son amitié ! de celle pour qui je travaille jour et nuit, malgré tous mes maux ! Vous sentez bien que je ne suis pas capable d’une pareille lâcheté. Tout ours que je suis, soyez persuadée que je suis un très-honnête ours.

Je n’ai point du tout entendu parler de M. Grawford ; si j’avais su qu’il fût à Paris, je vous aurais suppliée très-instamment de me protéger un peu auprès de lui, et de faire valoir les sentiments d’estime et de reconnaissance que je lui dois.

Vous m’annoncez, madame, que M. Robertson veut bien m’envoyer sa belle Histoire de Charles-Quint, qui a un très-grand succès dans toute l’Europe, et que vous aurez la bonté de me la faire parvenir. Je l’attends avec la plus grande impatience ; je vous supplie d’ordonner qu’on la fasse partir par la guimbarde de Lyon.

C’était autrefois un bien vilain mot que celui de guimbarde ; mais vous savez que les mots et les idées changent souvent chez les Français, et vous vous en apercevez tous les jours.

Vous avez la bonté, madame, de m’annoncer une nouvelle cent fois plus agréable pour moi que tous les ouvrages de Robertson. Vous me dites que votre grand-papa, le mari de votre grand’maman, se porte mieux que jamais ; j’étais inquiet de sa santé, vous savez que je l’aime comme monsieur l’archevêque de Cambrai aimait Dieu, pour lui-même. Votre grand’maman est adorable. Je m’imagine l’entendre parler quand elle écrit : elle me mande qu’elle est fort prudente ; de là je juge qu’elle n’a montré qu’à vous les petits versiculets de M. Guillemet[1].

si je retrouve un peu de santé dans le triste état où je suis, je vais me remettre à travailler pour vous. Je ne vous écrirai point de lettres inutiles, mais je tâcherai de faire des choses utiles qui puissent vous amuser. C’est à vous que je veux plaire ; vous êtes mon public. Je voudrais pouvoir vous désennuyer quelques quarts d’heure, quand vous ne dormez pas, quand vous ne courez pas, quand vous n’êtes pas livrée au monde. Vous faites très-bien de chercher la dissipation, elle vous est nécessaire comme à moi la retraite.

Adieu, madame ; jouissez de la vie autant qu’il est possible, et soyez bien sûre que je suis à vous, que je vous appartiens jusqu’au dernier moment de la mienne[2].

  1. Lettre 7610.
  2. Une lettre de Voltaire (dictée à Wagnière) à M. Éthis, commissaire provincial des guerres à Besançon, du 30 janvier 1770, est signalée dans un catalogue d’autographes.