Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7749

Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 527-528).
7749. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, 10 janvier.

Mon cher Cicéron, il y a un mois que je n’ai entendu parler de Sirven. Je lui ai envoyé quelque argent, dont il n’a pas seulement accusé la réception. Je ne sais plus où en est son affaire, ni ce qu’il fait, ni ce qu’il fera, si j’en apprends quelque chose, je ne manquerai pas de vous le mander. Il fait si froid dans nos quartiers que tous les juges, les plaideurs, et les huissiers, se tiennent probablement au coin du feu.

À l’égard de l’affaire de ce pauvre petit diable qui a fait tant de sottises, et qui en est si durement puni[1], je suis toujours prêt a le sécher au bord du puits du fond duquel je l’ai tiré ; mais je vous avoue que je ne voudrais pas me hasarder à écrire à M. Gerbier, que je n’ai pas l’honneur de connaître, et à essuyer un refus. J’aimerais mieux la voie de ce procureur qui est venu vous parler : cela tirerait moins à conséquence.

Il serait bon d’ailleurs de savoir s’il y a quelques fonds sur lesquels on pourrait donner six mille livres au petit interdit : car, s’il n’y en a point, toutes les démarches seraient peines perdues, attendu que sa sœur ne veut rien avancer, et qu’on ne voit pas où l’on prendrait ces deux mille écus. Je ne crois pas qu’on les assigne pour le présent sur les postes. Vos commis de ce grand bureau des secrets de la nation se tuent comme Caton ; mais Caton ne volait pas des caisses comme eux.

Votre roi de Portugal[2] n’a point été assassiné : il a eu quelques coups de bâton d’un cocu qui n’entend pas raillerie, et qui l’a trouvé couché avec sa femme : cela s’est passé en douceur, et il n’en est déjà plus question.

Mille respects à madame votre femme : conservez toujours vos bontés pour l’homme du monde qui vous est le plus attaché, et qui sent tout le prix de votre mérite et de votre amitié.

  1. Durey de Morsan ; voyez tome XLV, page 500, et ci-dessus, page 249.
  2. Joseph 1er ; voyez tome XV, page 173. L’événement est du 3 décembre 1769.