Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7727

7727. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Ferney, le 9 décembre.

Quand Thalestris, que le Nord admira,
Rendit visite à ce vainqueur d’Arbelle,
Il lui donna bals, ballets, opéra,
Et fit de plus de jolis vers pour elle.
Tous deux avaient infiniment d’esprit ;
C’était, dit-on, plaisir de les entendre ;
On avouait que Jupiter ne fit
Des Thalestris que du temps d’Alexandre.


Pausanias, dans ses Prussiaques[1], dit qu’Alexandre poussait son amour pour les beaux-arts jusqu’à faire des vers dans la langue des Welches, et qu’il mettait toujours dans ses vers un sel peu commun, de l’harmonie, des idées vraies, une grande connaissance des hommes, et qu’il faisait ces vers avec une facilité incroyable ; que ceux qu’il fit pour Thalestris étaient pleins de grâce et d’harmonie.

Il ajoute que ses talents étonnaient beaucoup les Macédoniens et les Thraces, qui se connaissaient peu en vers grecs, et qu’ils apprenaient par les autres nations combien leur maître avait d’esprit : car, pour eux, ils ne le connaissaient que comme un brave guerrier qui savait gouverner comme se battre.

Il y avait, dit Plutarque, dans ce temps-là un vieux Welche retiré vers les montagnes du Caucase, qui avait été autrefois à la cour d’Alexandre, et qui vivait aussi heureux qu’on pouvait l’être loin du camp du vainqueur d’Arbelles et de Basroc[2]. Ce vieux radoteur disait souvent qu’il était très-fâché de mourir sans avoir fait encore une fois sa cour au héros de la Macédoine.

Sire, je ne doute pas que vous n’ayez dans votre cour des savants qui ont lu Pausanias, Plutarque et Xénophon, dans la bibliothèque de votre nouveau palais ; ils pourront vous montrer les passages grecs que j’ai l’honneur de vous citer, et Votre Majesté verra que rien n’est plus vrai.

Je donnerais tout le mont Caucase pour voir ce Welche deux jours à la cour d’Alexandre.

  1. Dans les Plaideurs, acte III, scène iii, Racine a dit :

    Pausanias en ses Corinthiaques.

  2. Basroc est l’anagramme de Rosbac.