Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7719

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 502-503).
7719. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
29 novembre.

Vous êtes le premier, mon cher ange, à qui je dois apprendre que l’innocence de Sirven vient de triompher, que les juges lui ont ouvert les prisons, qu’ils lui ont donné mainlevée de ses biens saisis par les fermiers du domaine ; mais il faut qu’il y ait toujours quelque amertume dans la joie, et quelque absurdité dans les jugements des hommes. On a compensé les dépens entre le roi et lui ; cela me paraît d’un énorme ridicule. De plus, il est fort incertain que messieurs du domaine rendent les arrérages qu’ils ont reçus. Sirven en appelle au parlement de Toulouse. J’ose me flatter que ce parlement se fera un honneur de réparer entièrement les malheurs de la famille Sirven, et que le roi payera les frais tout du long. Ce n’est pas là le cas où il faut lésiner, et sûrement le roi trouvera fort bon que les dépens du procès retombent sur lui.

J’ai vu, dans une gazette de Suisse, que M. le duc de Praslin quittait le ministère. Ce n’est certainement pas le suisse de votre porte qui mande ces belles nouvelles ; mais il y a dans Paris un Suisse bel esprit, qui inonde les Treize-Cantons des bruits de ville les plus impertinents.

Mais comment se porte Mme d’Argental ? On dit qu’elle est languissante, qu’elle fait des remèdes : je la plains bien, je sais ce que c’est que cette vie-là. Est-ce la peine de vivre quand on souffre ? oui, car on espère toujours qu’on ne souffrira pas demain : du moins, c’est ainsi que j’en use depuis plus de soixante ans. Ce n’est pas pour rien que j’ai fait un opéra où l’espérance arrive au cinquième acte. On dit que la Pandore de La Borde a très-bien réussi à la répétition ; mais il y a certains vers où l’on dit que le mari de Pandore doit obéir ; cela est manifestement contraire à saint Paul, qui dit expressément[1] : Femmes, obéissez à vos maris. Je croyais avoir rayé cette hérésie de l’opéra.

Mille tendres respects, mon cher ange, à vous et à Mme d’Argental.

  1. Dans son Épître aux Éphésiens, v. 22, il dit : « Mulieres viris suis subditæ sint ; » et dans son Épître aux Colossiens, iii, 18 : « Mulieres, subditæ estota