Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7710

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 495-496).
7710. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
18 novembre.

Je suis devenu plus paresseux que jamais, monsieur, parce que je suis devenu plus faible et plus misérable. Il m’aurait été impossible de faire le voyage de Paris : je peux à peine faire celui de mon jardin. Mme Denis a rapporté une belle lunette, mais il faut avoir des yeux. On perd tout petit à petit, excepté les sentiments qui m’attachent à vous et à Mme de Rochefort.

Je voudrais bien avoir des compliments à vous faire sur l’accomplissement des promesses qu’on vous a faites. C’est là ce qui m’intéresse véritablement : car, en vérité, j’ai beaucoup d’indifférence pour tout le reste. J’espère que M. le duc de Choiseul fera les choses que vous désirez. C’est la plus belle âme que je connaisse ; il est généreux comme Aboul-Cassem, brillant comme le chevalier de Grammont, et travailleur comme M. de Louvois. Il aime à faire plaisir ; vous serez trop heureux d’être son obligé.

Je compte qu’au printemps vous serez un père de famille. Mme de Rochefort accouchera d’un brave philosophe ; il en faut de cette espèce.

Je voudrais bien vous envoyer une nouvelle édition d’une pièce[1] qui commence ainsi :


Je suis las de servir. Souffrirons-nous, mon frère,
Cet avilissement du grade militaire ?


mais je ne sais comment m’y prendre. Il est beaucoup plus aisé d’envoyer des lunettes que des livres.

L’oncle et la nièce disent tout ce qu’ils peuvent de plus tendre à M. et à Mme de Rochefort.

  1. La tragédie des Guèbres ; voyez tome VI. page 505.