Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7701

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 485-486).
7701. — À M. LE COMTE DE SCHOMBERG.
31 octobre.

Je ne peux trop vous remercier, monsieur, des éclaircissements que vous avez la bonté de me donner sur les événements dont vous avez été témoin. Permettez-moi de répondre, par une petite anecdote, aux vôtres. C’est moi qui imaginai d’engager M. le maréchal de Richelieu à faire ce qu’il pourrait pour sauver la vie à ce pauvre amiral Byng[1]. Je l’avais fort connu dans sa jeunesse ; et, afin de donner plus de poids au témoignage de M. le maréchal de Richelieu, je feignis de ne le pas connaître. Je priai donc votre général de m’écrire une lettre ostensible[2], dans laquelle il dirait qu’ayant été témoin de la bataille navale il était obligé de rendre justice à la conduite de l’amiral Byng, qui, étant sous le vent, n’avait pu s’approcher du vaisseau de M. La Calissonnière. Monsieur le maréchal eut la générosité d’écrire cette lettre ; je l’envoyai à M. l’amiral Byng ; elle fit impression sur l’esprit de deux juges du conseil de guerre ; mais le parti opposé était trop fort.

Vos réflexions, monsieur, sur cette mort sont bien justes et bien belles ; je crois, comme vous, qu’il est fort égal de mourir sur un échafaud ou sur une paillasse, pourvu que ce soit à quatre-vingt-dix ans.

Je n’ai pu faire autre chose à l’égard de M. de Bussy[3], que de le croire sur sa parole ; c’est le second de ceux qui portent nouvellement ce nom, avec qui la même chose m’est arrivée.

Je n’ai fait que copier ce que le frère de M. d’Assas et le major du régiment[4] m’ont mandé.

Si j’avais été assez heureux, monsieur, pour recevoir vos instructions plus tôt, j’aurais corrigé l’édition in-4° qu’on vient d’achever. Il n’est plus temps, et je n’ai que des remords.

Ma nièce, en arrivant de Paris, m’a parlé de Michon et Michette[5] ; on dit que c’est une satire violente contre trois membres du parlement, que, Dieu merci, je n’ai jamais connus. Il faut que celui qui a été assez hardi pour la faire soit bien lâche de me l’attribuer. Cet ouvrage, par conséquent, ne peut être que d’un coquin ; d’ailleurs le titre de la pièce annonce, ce me semble, un ouvrage du Pont-Neuf. Ce n’était pas ainsi qu’Horace et Boileau intitulaient leurs satires.

Au reste, j’aurai l’honneur de vous envoyer, dans quelques jours, une nouvelle édition des Guèbres, avec beaucoup d’additions et un discours préliminaire[6] assez philosophique, que je soumettrai à votre jugement.

S’il me tombe sous les mains quelque ouvrage passable imprimé en Hollande, je vous l’enverrai sous l’adresse que vous m’avez prescrite, à moins que vous ne donniez un contre-ordre.

Adieu, monsieur ; conservez-moi des bontés dont je sens si vivement tout le prix.

J’oubliais de vous parler du meurtre de Lally : vous savez que les Anglais n’aiment pas les Irlandais, et que Lally était surtout un des plus violents jacobites. Cependant toute l’Angleterre s’est soulevée contre le jugement qui a condamné Lally ; on l’a regardé comme une injustice barbare, et j’ai vu quelques livres anglais où l’on ne parle qu’avec horreur de cette aventure. Joignez-y celle de La Bourdonnais[7], et vous aurez le code de l’ingratitude et de la cruauté ; mais les Anglais ont aussi leur amiral Byng.


Ilacos intra muros peccatur et extra.

(Hor., lib. I, ep. ii.)

  1. Voyez tome XV, page 340.
  2. Voyez cette pièce, tome XXXIX, page 147.
  3. Celui dont Voltaire parle tome XXIX, page 94.
  4. Lorry : voyez lettre 7370.
  5. Voyez une note sur la lettre 7688.
  6. Celui qui est tome VI, page 491.
  7. Voyez tome XV, page 330 ; XXIX, 93 et suiv.