Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7682

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 468-469).
7682. — À M. PANCKOUCKE.
29 septembre.

J’approuve fort votre dessein de faire un supplément à l’Encyclopédie. Je souhaite qu’il ne se trouve plus d’Abraham Chaumeix, et que ceux qui ont condamné les thèses contre Aristote, l’émétique, la circulation du sang, la gravitation, l’inoculation, le quinzième chapitre de Bélisaire, soient si las de leurs anciennes bévues qu’ils n’en fassent plus de nouvelles. J’ose même espérer qu’à la fin on donnera en France quelques droits d’hospitalité à cette étrangère qu’on nomme la Vérité, qu’on a toujours si mal reçue. Le ministère verra qu’il n’y a nulle gloire à commander à un peuple de sots, et que, s’il y avait dans le monde un roi des génies et un roi des grues, le roi des génies aurait le pas.

Vous vous moquez de moi, et vous m’offensez, en me proposant dix-huit mille francs pour barbouiller des idées que vous pourrez insérer dans vos in-folio. C’est se moquer d’imaginer qu’à soixante-seize ans je puisse être utile à la littérature ; et c’est un peu m’insulter que de me proposer dix-huit mille francs pour environ six cents pages. Vous savez que j’ai donné toutes mes sottises gratis à des Genevois, je ne les vendrai pas à des Parisiens. J’ai à me plaindre, ou plutôt à les plaindre, de s’être obstinés à rechercher tout ce qui a pu m’échapper, et qui ne méritait pas de voir le jour[1]. Vous en porterez la peine, car je vous certifie que vous ne vendrez pas cet énorme fatras.

À l’égard de votre Encyclopédie, je pourrais, dans deux ou trois mois, commencer à vous faire les articles suivants : Entendement humain, Églogue[2], Élégie, Épopée[3], en ajoutant quelques notes historiques à l’article de M. Marmontel. Épreuve[4], Fable[5] ; on peut faire une comparaison agréable des fables inventées par l’Arioste et imitées par La Fontaine. Fanatisme[6] (histoire du) ; cela peut être très-intéressant. Femme[7] ; article ridicule, qui peut devenir instructif et piquant. Fatalité. on peut dire sur cet article des choses très-frappantes, tirées de l’histoire. Folie[8] ; il y a des choses sages à dire sur les fous. Génie[9] ; on peut en parler sans encore en avoir. Langage ; cet article peut être immense. Juifs : on peut proposer des idées très-curieuses sur leur histoire, sans trop effaroucher. Loi : examiner s’il y a des lois fondamentales. Locke : il faut le justifier sur une erreur qu’on lui attribue à son article Mainmorte ; on me fournira un excellent article sur cette jurisprudence barbare. Malebranche[10] ; son système peut fournir des réflexions fort curieuses. Métempsycose, Métamorphose[11], bons articles à traiter.

Je vous indiquerai les autres matières sur lesquelles je pourrai travailler ; mais c’est à condition que je serai en vie, car je vous réponds que, si je suis mort, vous n’aurez pas une ligne de moi.

Quant à l’Italien[12] qui veut, dit-on, refondre, avec quelques Suisses, l’Encyclopédie faite par des Français, je n’ai jamais entendu parler de lui dans ma retraite.

  1. L’édition de Genève, in-4°.
  2. Voyez dans le Dictionnaire philosophique, tome XVIII, page 506.
  3. ibid., page 564.
  4. ibid., page 593.
  5. Voyez, Dictionnaire philosophique, tome XIX. page 59.
  6. ibid., pages 77-86.
  7. ibid., page 95.
  8. ibid., page 159.
  9. Dictionnaire philosophique, tome XIX, page 242.
  10. Les articles Entendement humain, Élégie, Fatalité, Langage, Loccke, Loi, Malebranche, n’ont pas, à ce qu’il paraît, été fournis par Voltaire. (B.)
  11. Dès 1764, Voltaire avait mis dans son Dictionnaire philosophique un article sous ce double titre ; voyez tome XX, page 75.
  12. Felice ; voyez page 347.