Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7673

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 459-460).
7673. — À M. LE COMTE DE SCHOMBERG.
22 septembre.

Les vieux malades, monsieur, n’écrivent pas quand ils veulent ; mais j’en connais un qui a le cœur bien sensible pour toutes vos bontés.

Je profite de l’avis que vous m’avez donné de vous adresser quelques paquets sous l’enveloppe du petit-fils d’Henri IV. Il m’a paru que les Guèbres n’étaient point indignes de paraître aux yeux d’un prince dont le grand-père a fait l’édit de Nantes. Henri IV parla au parlement à peu près comme l’empereur s’exprime dans cette tragédie. Je ne sais si on ne pourrait pas s’en amuser à Villers-Coterets. Il y a une bonne troupe de citoyens qui jouent cette pièce auprès de Paris, à Orangis. J’imagine que cette petite société se rendrait volontiers aux ordres de monseigneur le duc d’Orléans. M. et Mme de La Harpe sont les principaux acteurs ; je puis vous assurer qu’ils vous feraient grand plaisir.

Vous aurez bientôt M. le marquis de Jaucourt. Je souhaite que les eaux savoyardes aient fait du bien à ses oreilles. M. de Bourcet est venu tracer la nouvelle ville de Versoy. Il dit que la Corse est un bon pays qui peut nourrir trois cent mille hommes, s’il est bien cultivé ; en ce cas, le pays que j’habite est bien loin de ressembler à la Corse.

Tous ceux qui reviennent de Corse prétendent que la réputation de Paoli était un peu usurpée. S’il s’est mêlé d’être législateur, il ne s’est pas mêlé d’être héros. Quoi qu’il en soit, cette conquête fait beaucoup d’honneur à M. le duc de Choiseul ; il gagne un royaume d’une main, et il bâtit une ville de l’autre. Il pourrait dire comme Lulli à un page, pendant qu’il tonnait : « Mon ami, fais le signe de la croix, car tu vois bien que j’ai les deux mains occupées. »

Conservez-moi vos bontés, monsieur ; elles consolent ma solitude et mes souffrances ; comptez à jamais sur mes tendres et respectueux sentiments.