Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7671

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 456-458).
7671. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
20 septembre.

Mon cher ange, on veut que je vous prie de recommander M. de Mondion à M. le duc de Praslin. Je vous en prie de tout mon cœur, vous et Mme d’Argental. M. le duc de Praslin sait de quoi il s’agit, il connaît M. de Mondion, il le protège, et vous ne ferez qu’affermir M. le duc de Praslin dans ses bontés pour lui.

Quoique je sois actuellement dans un département qui n’a rien de commun avec les vers, cependant je viens de relire cette scène de Pandore. Je la trouve assez bien filée, et les raisons de Mercure très-bonnes ; mais je n’aime point le couplet de Némésis :


Je ne veux que vous apprendre
À plaire, à brûler toujours.


Le mot de brûler me choque, et n’est point officieux pour la musique ; je suis tenté de tourner ainsi ce couplet[1]:


némésis, sous la figure de Mercure.

Confiez-vous à moi ; je viens pour vous apprendre
Le grand secret d’aimer et de plaire toujours

pandore.

Ah ! si je le croyais !

némésis.

Ah ! si JC’est trop vous en défendre :
J’éternise vos amours.
Et vous craignez de m’ententre, etc.

Je suis encore dans une profonde ignorance sur cet ordre donné par M. le maréchal de Richelieu de représenter à Fontainebleau les Guèbres. M. de Ximenès est le seul qui m’en ait parlé ; la chose devrait être, mais c’est probablement une raison de croire qu’elle ne sera pas. C’est beaucoup qu’on donne à Fontainebleau le divertissement de la Princesse de Navarre, les Scythes, Mèrope et Tancrède.

Lacombe doit avoir vendu plus de Guèbres qu’il ne dit ; mais le marché a été mal fait, on ne peut plus y revenir : j’en suis fâché pour Lekain ; mais dans quelque temps je tâcherai de l’indemniser.

Je viens à des affaires plus graves : c’est le succès de l’avis que vous donnâtes à Sirven ; vous aviez seul raison. Tout le parlement de Toulouse est pour Sirven, si j’en crois les nouvelles que je reçois aujourd’hui. On remettra cette famille aussi innocente que malheureuse dans tous ses droits. Je vous le dis et le redis, il s’est fait depuis dix ans une prodigieuse révolution dans tous les parlements du royaume, excepté dans la grand’chambre de Paris. Il faut laisser mourir les vieux assassins du chevalier de La Barre, qui sont en horreur dans l’Europe entière. Un grand souverain[2] me mandait, il y a quelques jours, qu’il les aurait fait enfermer dans les Petites-Maisons de son pays pour toute leur vie.

On ne peut pas assembler les hommes dans la plaine de Grenelle pour leur prêcher la raison ; mais on éclaire, par des livres de plus d’un genre, les jeunes gens qui sont dignes d’être éclairés, et la lumière se propage d’un bout de l’Europe à l’autre. Les Welches sont toujours les derniers à s’instruire, mais ils s’instruisent à la fin : j’entends les honnêtes gens, car pour les convulsionnaires, les bedeaux de paroisse et les porte-Dieu, il ne faut pas s’embarrasser d’eux.

Adieu, mon divin ange ; rien n’est plus doux que de faire un peu de bien.

  1. Voltaire ne le changea pourtant pas ; voyez, tome III, l’acte V de Pandore.
  2. L’impératrice Catherine II ; voyez lettre 7594.