Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7637

Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 419-420).
7637. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
17 auguste.

Mme Denis, mon cher Cicéron, m’a mandé que, lorsque vous protégez si bien l’innocence de vos clients, vous me faites à moi la plus énorme injustice. Vous pensez qu’en fermant ma porte à une infinité d’étrangers qui ne venaient chez moi que par une vaine curiosité, je la ferme à mes amis, à ceux que je révère.

Si vous venez à Lyon (ce dont je doute encore), j’irai vous y trouver, plutôt que de ne vous pas voir, si vous venez à Genève, je vous conjurerai de ne pas oublier Ferney ; vous ranimerez ma vieillesse, j’embrasserai le défenseur des Calas et de Sirven, mon cœur s’ouvrira au vôtre, je jouirai de la consolation des philosophes, qui consiste à rechercher la vérité avec un homme qui la connaît.

Vous avez mis le sceau à votre gloire en rétablissant l’innocence et l’honneur de M. de La Luzerne. Vous êtes


Et nobilis et decens,
Et pro sollicitis non tacitus reis.

(Hor., lib. IV, od. i.)

Je ne sais si vous êtes informé de l’aventure d’un nommé Martin, condamné à être roué par je ne sais quel juge de village en Barrois, sur les présomptions les plus équivoques. La Tournelle étant un peu pressée, et le pauvre Martin se défendant assez mal, a confirmé la sentence. Martin a été roué dans son village. Trois jours après, le véritable coupable a été reconnu ; mais Martin n’en a pas moins comparu devant Dieu avec ses bras et ses cuisses rompus. On dit que ces choses arrivent quelquefois chez les Welches.

Je vous embrasse bien tendrement, et je me mets aux pieds de Mme de Beaumont.